Il y a un adage qui dit que pour être un champion, il faut l’être aussi bien sur et en dehors du terrain. Pendant des années, Maya Moore a prouvé la première partie sans aucune contestation possible. Huit saisons WNBA, quatre fois championne, MVP des finales 2013 et inévitablement dans la discussion de la GOAT. Une artiste à sang froid balle en main, Moore n’a plus rien à prouver sur les parquets. En dehors, elle était déjà exemplaire avec des actions faites pour la communauté et une attitude globale irréprochable. Mais il y a neuf mois, Maya Moore a pris une décision. Une décision radicale qui allait bousculer sa carrière et qui montre à quel point elle a l’étoffe d’une championne, et même d’une GOAT, aussi en dehors des parquets. A l’image d’un LeBron James qui a décidé d’ouvrir une école pour les enfants d’Akron, Moore est passé dans la cour des très grands. Et le message qu’elle fait passer par sa décision est aussi fort que ce que fait le King avec son école I Promise.
Car le combat qu’a décidé de mener Maya Moore ne se fait pas en parallèle de sa carrière de joueuse. Le combat qu’a décidé de mener Maya Moore ne concerne pas directement plusieurs personnes. Non Maya Moore, comme toutes les autres joueuses WNBA, ne touche pas encore le salaire qu’elle mériterait. Mais Maya Moore a quand même mis entre parenthèse sa carrière pour aider une personne, une seule. Un détenu du nom de Jonathan Irons.
Un soir de janvier 1997, à O’Fallon dans le Misouri, Stanley Totler (38 ans à l’époque) rentre chez lui. En arrivant à son domicile, il y trouve un cambrioleur armé. Il y aura trois coups de feu, deux du cambrioleur et un de Totler. Ce dernier est blessé par une des deux balles tandis que le cambrioleur est arrivé à s’enfuir. Une semaine plus tard, la police arrêtera Jonathan Irons, qui avait été vu dans le quartier le jour du crime en possession d’une arme à feu. Plus de vingt ans plus tard, le discours d’Irons n’a pas changé : Il n’a pas commis ce crime et son arrestation est dû au fait qu’il était au mauvais endroit au mauvais moment. La faute à pas de chance comme on dit, et cette malchance lui coûtera une peine de 50 ans de prison ferme alors qu’il n’a alors que 16 ans.
Après plusieurs années à enchainer les saisons américaines et européennes, à rallonge qui plus est puisqu’on joue souvent des finales quand on s’appelle Maya Moore, elle avait besoin d’un break. Proche du burnout basketballistique, elle avait besoin de se retirer quelques temps et de se trouver un nouveau but dans la vie. C’est donc naturellement qu’elle est revenue chez elle, à Jefferson City dans le Missouri, là où elle est née et où elle a grandi, pour se trouver son nouvel objectif. Elle dira que c’est même un « appel de Dieu » qui l’a amené à faire autre chose que du basket et à se concentrer sur les choses plus importantes de la vie.
Le casier d’Irons n’a peut-être été ouvertement discuté par Moore que cette année, mais cela fait depuis bien longtemps qu’elle le connait par cœur. Depuis sa dernière année de lycée, quand son parrain Reggie Williams a étudié le cas d’Irons au cours d’un weekend familial proche de Jefferson City. Un cas malheureusement fascinant et encore trop représentatif du système judiciaire américain. En lisant le dossier, Moore n'en croit pas ses yeux. Irons a été jugé par un jury composé uniquement de personnes blanches et qui devaient être bien contents de trouver un coupable. Pas d’arme retrouvée, pas de preuve ADN, pas d’empreinte digitale. D'ailleurs en parlant d'empreintes digitales, on sait maintenant que le jury avait reçu le premier rapport de la police mais pas le définitif, qui indique que sur les trois empreintes retrouvées dans la maison de Totler, deux n'ont pas pu être identifiées et que la troisième appartenait à Totler lui-même.
Seulement deux « preuves » vont contre Irons dans le dossier que tient son parrain Reggie. La première est une déclaration d’un détective qui affirmait qu’Irons avait avoué lors d’un interrogatoire être rentré dans la maison de Stotler alors qu’il était ivre. Un interrogatoire sans rapport, sans enregistrement et sans policier présent pour confirmer les dires du détective. La deuxième est le témoignage de Totler. Parmi la liste des suspects, ce dernier n'a pas reconnu son agresseur et c'est la police qui lui a demandé de "faire son meilleur choix". Autant dire que les deux preuves sont bancales et pourtant le jury n’a pas hésité à déclarer Irons coupable à seulement 18 ans. Et en plus de ça, avec une peine de 50 ans de prison ferme. Moore prendra la décision d'aller rencontrer Irons plus tard cette année-là, un peu avant de partir à UConn pour les études. Avec les années, elle le considèrera comme un membre de sa famille, lui la décrira comme une « pure lumière ».
Moore a pris une année sabbatique pour trouver la paix. Elle n’en trouvera une partie que quand Irons franchira les portes du pénitencier de Jefferson City en homme libre. Et le chemin est encore long dans ce qui ressemble à l’appel de la dernière chance pour Irons. Car malgré les frais d’avocat que Moore paye en partie, un procureur avait refusé cet été de vouloir rouvrir l’affaire Jonathan Irons, disant que ce dernier avait déjà fait appel trop de fois par le passé. Ce 9 octobre, après de longs mois de bataille, une audience a eu lieu qui a permis à Jonathan Irons de s’exprimer officiellement sur l’affaire dont il est impliqué, 22 ans après le premier jugement.
Le juge Daniel Green a autorisé la partie de Jonathan à montrer toutes les preuves que l’on sait et qu’on a gardées pendant 15 ans. On a pu parler de la loi Brady (v. Maryland, imposant au procureur de faire le tour de toutes les preuves qui pourraient innocenter un accusé, ndrl.), du témoignage visuel utilisé lors du premier procès. Jonathan a enfin pu parler et partager son expérience d’un garçon de 16 ans pour la première fois, de qu’est-ce qu’il a vécu et comment il a été interrogé.
L’audience a duré sept heures. Sept heures à étaler un par un les faits qui ont conduit à une telle situation. Mais malgré tous les efforts de la journée, l’assistant du procureur général Patrick J. Logan s’est montré peu enclin à changer le jugement et Moore a eu le sentiment qu’il voulait maintenir à tout prix le jugements initial, « maintenir la victoire » elle dira même à la télévision au micro de Michel Martin. Elle a décidé d’envoyer une lettre au procureur général, avec comme soutien presque 100 000 personnes qui ont signé sa pétition.
Le combat qu’a décidé de mener Maya Moore est loin d’être fini. La compétitrice qu’est la quadruple championne WNBA ne laisse rien au hasard et fait tout son possible pour mettre en lumière cette affaire et elle n’est pas prête d’abandonner malgré tous les obstacles qui se mettent sur son chemin. Elle a finalement trouvé une voie, et une voix, qui lui permettent de faire une réelle différence dans la communauté. Car si l’objectif premier est de faire libérer Jonathan Irons, elle espère aussi faire changer les choses à plus grande échelle. Dans un système judiciaire qu’elle décrit comme toujours raciste, 97% des affaires ne passent pas au tribunal et un nombre incalculable de personnes sont donc en prison avec une mauvaise peine. Quant à la balle orange, Moore reste mystérieuse sur un éventuel retour. Si elle affirme vouloir revenir à la prochaine saison WNBA, il ne fait aucun doute que sa décision sera liée à l’avancement de l’affaire Irons. Affaire à suivre…