14 mai 2004, la bataille d'Auburn Hills

14 mai 2004, la bataille d'Auburn Hills

Il y a dix ans, Detroit et New Jersey s'affrontaient pour une place en Finales de Conférence Est. Au milieu de ce passage de témoin entre favoris, Nets et Pistons donnent au cinquième match une intensité défensive sans pareil.

Au meilleur des trois matchs. Pour chaque série de play-offs serrée, c'est un tournoi dans le tournoi qui se crée au moment où les deux adversaires se retrouvent à deux victoires partout.

 

Le match suivant est un ovni, un affrontement sans vainqueur final, mais la possibilité de mettre son ennemi dans les cordes. Ce qu'on appelle aux États-Unis le pivotal Game 5 est une guerre psychologique. Le remporter est presque une garantie de succès final : dans l'Histoire de la ligue, les équipes qui ont pris l'ascendant lors de ce cinquième match ont gagné la série dans plus de 85 % des cas

 

En mai 2004, New Jersey, finaliste les deux dernières saisons, retrouve sur son chemin une équipe de Detroit devenue favorite depuis l'arrivée de Rasheed Wallace à la mi-saison. Avec une défense ultra serrée, les Pistons ont gagné 20 de leurs 24 derniers matchs de saison régulière dont huit rencontres où ils encaissent moins de 70 points ! De leur côté, les Nets menés par Jason Kidd ont vécu une année en dents de scie mais débarquent en play-offs avec une expérience sans équivalent à l'Est. Les Knicks et les Bucks passent facilement à la trappe et les numéros 2 et 3 de la Conférence s'affrontent en demi-finales.

 

Chaque formation va remporter ses deux rencontres à domicile, avec au moins quinze points d'écart pour le vainqueur, comme si personne n'était capable de jauger son adversaire. Arrive alors un cinquième match déterminant pour la suite de la compétition. Les Pistons jouent à la maison mais viennent de perdre deux fois contre une équipe qu'ils semblaient totalement dominer quelques jours avant (seulement 58 points encaissés au premier match).

 

Detroit a un vécu avec le pivotal game 5, et pas un des plus agréables : en 1987, les Pistons laissent une victoire en plein Boston Garden s'envoler sur une interception de Larry Bird qui passe la balle à Dennis Johnson pour un panier facile à la dernière seconde. La scène se déroule en pleines Finales de Conférence, et les Celtics prennent l'avantage trois victoires à deux. Certes, les joueurs du Michigan accrocheront un septième match décisif mais échoueront au dernier obstacle. Encore aujourd'hui, la conclusion de cette cinquième rencontre est un miracle bien installé dans le livre d'histoire des C's, et un cauchemar pour tout fan de Motor City.

  • À qui la faute ?

Et évidemment, ça commence mal pour les Pistons. Ou plutôt trop vite. Après avoir inscrit leurs sept premiers tirs, ils ne vont plus rien marquer pendant plus de six minutes dans le premier quart-temps, laissant les visiteurs prendre 12 points d'avance. Detroit limite la casse en fin de période (25-19) mais peine cruellement à rattraper son retard. Heureusement, les Nets ne rentrent rien non plus. Beaucoup de fautes, beaucoup de perte de balles (dix pour New Jersey en 12 minutes!). La défense locale fait clairement son effet, en attendant que l'attaque reparte. Le déclic a lieu via Rip Hamilton, Rasheed Wallace et surtout Tayshaun Prince, qui dégaine de partout et donne 13 points à son équipe.

 

Les Nets ne savent plus quoi faire avec le ballon : excepté l'inattendu Brian Scalabrine, plus personne ne semble capable de marquer, et au buzzer de la mi-temps, Detroit a grapillé son retard à coup de lancers-francs, et mène d'un petit point (44-43).

 

Pour la première fois de la série, les deux équipes nagent dans les mêmes eaux. Le troisième quart reste complètement ouvert, le score oscille entre zéro et quatre points pendant douze minutes. Mais un homme commence à s'affirmer : Chauncey Billups, jusque là très discret offensivement, inscrit les trois derniers paniers de Detroit (le tout en sept minutes). New Jersey mène d'une unité au début de ce qu'on pense être l'ultime période.

 

Il devient de plus en plus dur de marquer. En fait, le combat va surtout se jouer aux lancers-francs. Les Pistons vont en tirer 26 et en inscrire 14 en douze minutes, les Nets signent un 13 sur 20. Toute tentative de tir semble récompensée par une faute, et on constate déjà les premiers sacrifiés pour six sanctions : Jason Collins et Kenyon Martin pour les Nets, Rip Hamilton en face.

 

La dernière minute est un labeur pour les locaux : Jason Kidd vient de donner l'avantage aux visiteurs. De près, comme de loin, et malgré les rebonds offensifs, rien ne rentre. Le meneur star des Nets enfonce le clou pour prendre trois unités d'avance. Sur la possession suivante, Tayshaun Prince ne peut offrir qu'un lancer-franc à son équipe.

  • Chauncey BI-BI-BI-Billups !

Deux points et onze secondes à tenir pour New Jersey, qui peut être confiant. Kidd est envoyé sur la ligne bonus, ou il a signé un 7/7 jusque là. Il manque le premier, puis le deuxième. Espoir pour les uns, inquiétude pour les autres. Rasheed Wallace prend le rebond et le temps-mort. Billups prend la balle et tente la pénétration, mais en un rien de temps, Jefferson le contre et son coéquipier Kerry Kittles attrape le sésame. Celui-ci est envoyé sur la ligne avec la possibilité de tuer le match avec moins de trois secondes au chrono. Kittles rate lui aussi son premier lancer mais limite la casse pour le deuxième.

 

2.9 secondes, trois points de retard et les Pistons repartent de leur panier. Le temps d'un sprint et d'une prière. Chauncey « Smooth » Billups a à peine dépassé la moitié du parquet quand il relâche le Graal orange pour un miracle. La planche sera généreuse. Certes, ce n'est pas Jerry West du milieu du terrain façon Finales 1970 mais le résultat est le même. Dans la ferveur du Palace d'Auburn Hills, Billups accroche une impensable prolongation.

 

On pense alors que Detroit a pris un ascendant psychologique mais les Nets commencent la période supplémentaire avec une efficacité redoutable. Quatre actions, huit points en trois minutes ! Les locaux ont encore du mal à rentrer leurs tirs mais se créent plus d'opportunités, de quoi rester à proximité de leur adversaire. Ben Wallace doit quitter la partie, mais après un trois points de Rasheed Wallace et deux lancers bonus de Billups, les Pistons sont devant 99-98. Richard Jefferson se contente de mettre tout le monde à égalité. Wallace, Scalabrine puis Billups veulent jouer les héros mais rien n'y fait. Cinq minutes de pugilat en plus.

  • Jefferson en trois actes

Chaque équipe va alors montrer des qualités différentes : les Nets vont aligner trois missiles longue distance alors que les Pistons font le forcing sous le panier. Rodney Rogers et Rasheed Wallace se payent une sixième faute et quittent la partie, et le scenario du premier overtime se reproduit : Chauncey aux lancer-francs pour un petit point d'avance, et Jefferson qui répond à moitié. 111 partout, et ni Billups ni Kittles ne trouvent l'intérieur du cercle.

 

Un troisième overtime ? On n'avait pas vu ça depuis les Finales 1993. Avec le manque de personnel, les seconds couteaux doivent prendre leurs responsabilités. Si Lucious Harris marque cinq points pour New Jersey, les remplaçants du Michigan n'y arrivent pas. Survivant d'un cinq majeur décimé, Billups veut prendre les choses en main. En l'espace de cinq secondes il prend trois tirs et deux rebonds offensifs, pour zéro points. Mais Detroit pousse suffisamment pour revenir à une unité des Nets. Brian Scalabrine envoie alors sa quatrième frappe assassine de la soirée, à 27 secondes de la sirène (123-118). Comme une évidence, c'est Jefferson qui se charge de mettre K.O les Pistons. Et là, pas de suspense, il rentre quatre lancers-francs de suite.

 

Score final : 127 à 120 et un exploit des invités. New Jersey a tiré 86 fois au panier, Detroit 111 fois ! C'est dire le manque d'adresse des hôtes. Surtout, ces derniers ont prouvé leur dépendance à leurs cinq titulaires dans une bataille où on ne compte plus les expulsions.

 

Huit joueurs sortis pour six fautes, dont quatre titulaires côté Pistons. 42 fautes pour les visiteurs, 41 pour les locaux. On n'avait jamais vu un tel massacre dans la ligue. Étant donné l'engagement physique et mental, ce résultat est particulièrement douloureux pour Detroit. Joe Dumars, à la tête de la franchise revoit presque devant ses yeux ce qu'il avait vécu en 1987 à Boston.

 

Mais cette formation a du caractère, suffisamment pour battre les probabilités en aller battre les Nets chez eux au sixième affrontement et revenir finir le travail à la maison. Même si cette nuit-là, les Pistons ont fini par craquer, le tir miraculeux de Chauncey Billups est devenu le symbole de cette équipe, l'outsider qui a renversé les favoris pour aller remporter le titre le plus inattendu depuis les Warriors en 1975.