Yann Casseville nous emmène dans son ouvrage aux côtés d'Allen Iverson. Une plongée intimiste dans la vie mouvementée de ce joueur si spécial de par bien des aspects. En effet, retraçant son enfance, adolescence et carrière avec une précision chirurgicale, il y dépeint un personnage écorché vif, un survivant d'une vie qui l'a malmené. Un passé pesant dont il se servait comme de carburant sur le terrain. Un battant qui jurait dès que son coach le faisait s'asseoir sur le banc. Il n'est de secret pour personne qu'Allen Iverson était un sacré personnage.
Ne se contentant pas de parler de son protagoniste principal, l'auteur décrit également tous les autres acteurs qui ont gravité autour d'Iverson. De l'excentrique Pat Croce à ses fidèles coéquipiers en passant par sa relation houleuse avec l'entraineur Larry Brown, Yann Casseville brosse un portait complet de l'entourage d'Allen. Ce récit trouve son point d'orgue en la saison NBA 2000/2001 qui sera l'apogée d'Iverson et de son équipe "de bras cassés" des Philadelphie Sixers. L'aventure de ces playoffs mythiques y est narrée avec une fidélité et un réalisme impressionnant, on se croirait presque assis au premier rang des tribunes. Truffées d'anectodes toutes plus croustillantes les unes que les autres, les spécialistes comme les novices trouveront leurs bonheurs dans tous ces détails.
Rebelle, ganster, lilliputien, forte tête, paria, le MVP 2001 s'est vu affubler d'un nombre incalculable d'adjectif tantôt mélioratif tantôt très péjoratif. Ne laissant jamais indifférent, il est sûrement le plus grand des petits de la balle orange.
Une odyssée humaine à découvrir pour tous les amoureux du personnage, du joueur et du basketball.
Ancien rédacteur d'Inside Basket, l'auteur s'est gentiment livré à une interview dont voici la retranscription.
- Tout d'abord, pourquoi Allen Iverson ? Quel est votre rapport à ce joueur ?
L'idée du livre est de raconter, au-delà d'une histoire sportive, à savoir l'exceptionnelle saison 2000-01 des Sixers, une histoire humaine : l'ascension d'Allen Iverson, de la prison en 1993 au titre de MVP de NBA en 2001. J'avais onze ans en 2001, et c'est ma véritable découverte de la NBA. J'ai tout pris en pleine face : le joueur, ses performances, l'homme qu'il était, ce qu'il représentait. Il est devenu mon joueur favori. Par la suite, je me suis détaché de ça à mesure que ma culture basket s'étoffait, mais j'ai conservé une véritable affection pour lui.
Vingt ans après 2001, je me suis dit que le moment était venu de me replonger dans cette période. L'histoire sportive, avec un contexte génial à décrire – l'engouement à Philadelphie, le personnage fascinant qu'est le président des Sixers, Pat Croce, la dramaturgie des playoffs –, sert de prétexte pour raconter cette histoire humaine. Iverson, ça va au-delà du terrain. Ses tatouages, son entourage, son style vestimentaire, son passé, son album de rap qui va faire parler jusqu'au Sénat : ce n'est plus du sport, c'est Iverson contre l'Amérique conservatrice.
- Quel est votre souvenir le plus marquant ?
2001, c'est ma Madeleine de Proust. Le All-Star Game, où il est élu MVP en menant l'Est à la victoire après un fabuleux come-back face à l'Ouest, est très marquant. Même si dans le livre, cela donne uniquement deux paragraphes, parce qu'encore une fois, l'idée n'est pas de raconter des matches qu'aujourd'hui, tout le monde peut revoir à loisir sur YouTube.
L'autre souvenir, le plus fort, est évidemment le match 1 de la finale face aux Lakers, supposés invincibles, à Los Angeles. Le déroulé de la rencontre, la prolongation, les 48 points d'Iverson, son cross sur Tyronn Lue… Deux jours après le match, mon père m'avait imprimé le compte-rendu du Los Angeles Times. Il faut replacer dans le contexte : en 2001, l'accès à Internet n'était pas aussi démocratisé, on ne suivait pas la NBA depuis la France avec la même facilité qu'aujourd'hui. Je ne parlais pas anglais à l'époque, pourtant j'ai lu et relu l'article, et je l'ai gardé précieusement, comme une relique.
- Compiler toutes les informations et en tirer ce récit est un travail titanesque. Combien de temps cela vous a-t-il pris ?
C'est quasiment un an de travail. Le plus gros a concerné les archives. Sans les archives, je n'aurais rien écrit. Quelle légitimité j'ai, depuis la France, sans interviewer Iverson ni les autres protagonistes de l'histoire ? Mais en juin et juillet 2020, les bibliothèques publiques de la ville de Philadelphie m'ont ouvert les portes de leurs archives. J'ai pu récupérer tous les articles d'époque de plusieurs journaux, notamment le Philadelphia Inquirer et le Philadelphia Daily News. Entre la draft d'Iverson en 1996 et 2001, ces deux quotidiens ont publié très précisément 5 421 articles !
On peut penser qu'aujourd'hui, il est possible de connaître toute l'histoire en parcourant les articles sur Internet. C'est faux. 2001, ce n'est pas si loin, mais dans le domaine de l'accès à l'information, c'est une autre époque. Il ne s'agit pas de dire que le livre est bon ou non, chaque lecteur sera libre de juger. Mais il repose sur une matière première, ces milliers d'articles, qui n'avait pas encore été utilisée en France. Avoir eu accès à ces archives, c'était comme découvrir un trésor.
Il m'a fallu des mois pour tout lire et tout trier, ensuite est venu le temps de l'écriture. Même si je sais que le livre concerne une période très précise, et qu'il va être principalement lu par des fans qui ont une grande connaissance de la NBA, j'ai tenté paradoxalement d'avoir une approche entre guillemets grand public. Encore une fois : raconter une histoire humaine plus que sportive, donc rendre le récit humain, au-delà des statistiques.
- Malgré son côté atypique, à quel joueur, actuel ou non le compareriez-vous ?
Chaque époque est différente, et donc chaque joueur aussi. Mais on peut quand même trouver des éléments de comparaison. Je pense à trois joueurs. Russell Westbrook avec OKC. Il a été en finale, il n'a pas gagné, il est longtemps resté fidèle à la franchise, il a été fortement décrié, jugé individualiste, incapable de mener une équipe à la victoire… Mais il a été un leader, salué par ses coéquipiers, à sa façon de porter son équipe, sa franchise, sur ses épaules. Il y a aussi Stephen Curry. Pas pour le tir évidemment, mais pour le côté révolutionnaire sur le terrain qu'il a apporté, et le fait qu'avec son profil physique, léger pour la NBA, les jeunes peuvent s'identifier à lui. Et puis Ja Morant, pour le côté meneur qui débarque en NBA et fait immédiatement sensation, devient leader de son équipe, apporte de la créativité sur le terrain et de l'excitation en ville.
- Pensez-vous qu'il serait perçu différemment s'il jouait aujourd'hui, à l'heure des réseaux sociaux ?
Ça serait dingue. Les réseaux sociaux, c'est l'exposition de l'instantané, du spectaculaire. Tout ce qu'était Iverson. Se jeter sur chaque ballon, les crossovers, c'est du highlight par excellence. Son cross sur Tyronn Lue aurait fait exploser Twitter ! Phil Jasner, plume respectée et regrettée de la presse sportive américaine, a écrit : "Si Benjamin Franklin n'avait pas découvert l'électricité, Iverson l'aurait fait." Parce qu'il apportait de l'excitation, des instants frissons.
En revanche, comme toujours avec Iverson, il y aurait aussi eu le côté face. Il n'était pas toujours professionnel dans son attitude, loin de là, il a raté une quantité énorme d'entraînements, est parfois arrivé cinq minutes avant le début du match, parfois même encore ivre de sa soirée de la veille. J'imagine qu'on aurait pu voir sur les réseaux des photos de lui, saoul dans un bar une veille de match, ça aurait été polémique sur polémique.
- Que pensez-vous de la trajectoire de sa carrière ? Aurait-il pu perdurer plus longtemps s'il s'était économisé ou fait des concessions ?
Il n'a pas gagné de bague en NBA, et est-ce qu'il aurait pu, dans la deuxième partie de sa carrière, en acceptant par exemple de sortir du banc chez un candidat au titre ? Peut-être. Mais on ne refait pas l'histoire. Sa carrière, c'est lui : c'est du direct, sans fioriture, sans concession.
Oui, s'il avait moins méprisé le travail physique, la musculation, s'il avait soigné son hygiène de vie, ses dernières années de carrière auraient probablement été meilleures. Mais c'est aussi ce qui a écrit sa légende. Il y a cette citation de Que Gaskins, son manageur chez Reebok : "Parfois, vous alliez dans sa chambre, il pouvait être en train de s'enfiler un steak, des frites, avaler trois Sprite, un bol de crème glacée, et vous enquiller quand même 50 points sur la tête. Putain, comment il fait ? " Voilà, c'était aussi ça, Iverson.
Et malgré cette approche douteuse du professionnalisme nécessaire au sport de haut niveau, il a passé 14 saisons en NBA, jusqu'à ses 34 ans. Et avec 41 minutes de moyenne par match en carrière, il est quatrième dans l'histoire, seulement devancé par trois joueurs d'il y a un demi-siècle (Wilt Chamberlain, Bill Russell et Oscar Robertson). Le tout pour un joueur annoncé à 1,83 m avec chaussures, et environ 70 kilos. C'est exceptionnel !
- La NBA a vu passer en son sein beaucoup de joueurs incroyables, pourtant tous ne sont pas devenus des icônes. En quoi Allen Iverson est-il différent ?
Il est un repère marquant dans l'histoire de la NBA. Un tournant, une révolution. L'après-Jordan, c'est lui, notamment. Pour son jeu et son profil physique, il a été un modèle, une inspiration, pour toute une génération : Stephen Curry, Chris Paul… Et pour son histoire, son parcours. LeBron James a dit : "Michael Jordan m'a inspiré, je l'ai admiré, mais il ne faisait pas partie de ce monde. Allen était vraiment comme un Dieu." Scoop Jackson, le rédacteur en chef du magazine SLAM, est allé jusqu'à décrire Iverson comme la version moderne de Mohamed Ali, "parce qu'il était si clivant et honnête" qu'il a "amené l'Amérique blanche à regarder une certaine partie de la communauté noire un peu différemment".
Il est toujours resté fidèle à ce qu'il était. Certains l'ont détesté pour ça, d'autres l'ont idolâtré pour ça. On ne parle plus là seulement d'un basketteur, mais d'une icône, comme un super héros présentant les caractéristiques d'un anti-héros. J'aime bien la définition du journaliste Paul Flannery : "la superstar anarchiste de la NBA".
- Avez-vous prévu d'écrire d'autres livres ? Sur un autre joueur peut-être ?
Non. Iverson en 2001, c'était vraiment l'histoire qui me tenait à cœur et que je voulais raconter. C'était un plaisir. Mais mon travail, au quotidien, concerne le magazine mensuel "BASKET LE MAG". Je suis très attaché à ce magazine, à sa ligne éditoriale, axée sur l'humain, à ce qu'il défend, le basket international. Et il me prend tout mon temps professionnel. Le livre a été écrit sur mon temps libre, et aujourd'hui, j'ai envie de faire autre chose de mon temps libre que d'écrire au sujet du basket.
Sorti le 4 juin 2021, l'ouvrage est à retrouver chez Exuvie Editions au prix de 18,50 euros.