Tom Carelli et Evan Wasch, leurs noms ne vous dit probablement rien, mais ils sont responsables de l’un des travaux les plus ingrats au sein de la ligue. Leur rôle ? Répartir 1230 matchs de saison régulière dans 29 salles et 170 jours. Un travail monumental qui est devenu trop lourd à porter par une seule personne.
- Historique
La première question que l’on peut se poser est tout simplement pourquoi chaque équipe NBA joue 82 matchs ? Finalement personne ne le sait vraiment, ce qui va dans le sens d’Adam Silver quand ce dernier dit qu’il n’y a rien de magique avec les 82 matchs et rien n’interdit de modifier ceci. Historiquement, le nombre de matchs a évolué progressivement jusqu’à atteindre 79 matchs lors de la saison 1960-61, 80 matchs en 1961-62, 81 en 1966-67 et 82 la saison suivante avec l’arrivée des San Diego Rockets et des Seattle Supersonics (12 équipes dans la NBA à ce moment). Cette augmentation était décidée pour augmenter les ventes de tickets dans les salles, les joueurs jouant déjà des matchs d'exhibition lors des jours off. Les propriétaires des franchises ont décidé de s'arrêter autour de 80 matchs par équipe pensant qu'il s'agissait du meilleur compromis entre les ventes de billets et les salaires des joueurs tout en permettant de préserver l'intégrité physique de ces derniers. Depuis, le nombre n’a pas évolué malgré les expansions qu’a connu la NBA.
Personne ne sait donc pourquoi 82 matchs. En revanche, on sait tout le chemin qui a été parcouru par la NBA dans l’organisation de ces derniers. La saison dernière, la NBA avait connu son nombre de back-to-back et de 4-in-5 le plus faible. Un miracle quand on se remémore certains road trips que l’on pouvait voir il y a à peine 50 ans. A titre d’exemple, lors de la saison 1967-1968, les Seattle Supersonics ont connu un road trip de l’enfer avec 5 matchs en 5 jours et un périple inimaginable aujourd’hui (qui plus est en vols commerciaux à l’époque) : match à Seattle le premier jour, à Oakland le deuxième, retour à Seattle le troisième, puis match à Cincinnati pour le jour de Noël et enfin à Philadelphie pour clôturer ce périple. Un voyage de plus de 6100 km en 5 jours et des matchs tous les soirs, une pure folie. Note assez amusante, le dernier match à Philadelphie était en fait pour jouer les Knicks.
A l’époque, pas d’informatique et tous les matchs étaient programmés à la main en espérant avoir à la fin une répartition pas trop mauvaise. Pendant près de 30 ans, jusqu’en 2015, Matt Winhick était seul à programmer le calendrier NBA, toujours avec un apport de l’informatique très limité et comptant principalement sur sa grande expérience pour proposer quelque chose de cohérent. Pendant son mandat, Winhick se devait de simplifier le problème. De ce fait, il demandait aux franchises deux choses :
-50 dates pendant lesquelles leur salle était disponible
-3 dates prioritaires où les franchises veulent jouer à domicile
Les trois dates étaient surtout choisies par les franchises pour le business plus que pour le sportif. Par exemple, si une convention est organisée dans la ville, la franchise voudra jouer le weekend de cette convention afin que les entreprises puissent proposer à leurs clients des formules pour aller voir les matchs.
Non même le calendrier NFL n’est pas simple. Ça a l’air très simple mais ça ne l’est pas. Tout le monde a quelque chose à dire. Une équipe ou la télévision va se plaindre du calendrier. Quelqu’un va s’en plaindre.
Le système utilisé par Winhick était pratique quand on sait qu’il était seul sur le sujet mais il comportait des failles. Déjà le fait que les franchises n’offrent que 50 dates de disponibilité pour 41 matchs limitait énormément la marge de manœuvre. Il y avait aussi le strength of schedule qui n’était pas pris en compte par manque de moyens. Qu’est-ce que le strength of schedule ? Il s’agit d’un outil de comparaison, mettant en valeur le fait qu’une équipe sera plus fatiguée que son adversaire si elle a joué la veille et pas l'équipe en face.
- Le processus en quelques étapes simples
Le processus pour l'élaboration du calendrier commence en janvier. Après avoir discuté avec les différentes salles, la NBA a un nombre de disponibilités sur lesquelles elle peut se baser pour construire son calendrier. Le but est clair : maintenir la santé des joueurs, l’équité sportive, soutenir les business locaux, nationaux et mondiaux. Il faut alors répartir les 1230 matchs de façon à respecter ces objectifs et ceci dans une période de 170 jours. Même un peu moins si l’on prend en compte le fait qu’il n’y ait pas de matchs au All-Star Break, le jour de la finale du championnat NCAA et la veille de Noël.
Anecdote à trois francs: La dernière fois que le Jazz a joué à domicile un dimanche (en saison régulière), c'était le 21 janvier... 2001! Utah étant un état très religieux, la NBA pense qu'il serait trop compliqué de faire salle comble pour des matchs de SR là-bas.
— Sébastien Hervé (@SebaHerve) March 24, 2019
Etape 1 : Calendrier de la télévision nationale
La première étape consiste à placer les matchs qui seront joués en antenne nationale, cette étape étant donc faite en collaboration avec les diffuseurs. Par exemple, il est de coutume que le champion en titre joue à domicile lors de la soirée d’ouverture afin de procéder à la cérémonie de la bague. On sait aussi qu’à Noël ce même champion joue encore à domicile. Cette étape permet de tracer les premières grandes lignes puisque ceci signifie par exemple que les adversaires des Warriors à ces deux dates l’année dernière étaient en road trip sur la côte Ouest. Et bien sûr il faut que tout ceci soit fait dans la limite des disponibilités des différentes salles. La question que se posent constamment les organisateurs sont: Quelles salles sont libres à cette date? Quelles salles ne le sont pas?
Etape 2 : Les matchs entre équipes de différentes conférences lors de longs road trip
Cette étape se base sur les indisponibilités longue durée de certaines salles. Par exemple, on sait que l’AT&T Center est pris pour son traditionnel rodéo en février. Ceci signifie alors que les Spurs auront une longue période loin de leur base à ce moment-là, ce qui semble idéal pour placer un road trip avec des destinations éloignées. La saison dernière, les Spurs sont allées jusque Portland, New-York en passant par Toronto entre autres. De sacrés distances que la NBA ne se permet que dans des cas exceptionnels comme ça.
Etape 3 : Remplissage et matchs entre équipes de même division
Une fois les deux premières étapes faites, la NBA peut commencer à remplir le calendrier complètement en programmant le reste des rencontres. Le principe est de surveiller au mieux les road trip et de garder de côté les matchs entre équipes de même conférence qui sont faciles à placer puisqu’ils impliquent des distances très courtes (par exemple, Philadelphie peut jouer à domicile un jour et à New-York le lendemain sans ressentir de fatigue due au déplacement).
En parallèle de ces étapes, il faut évidemment prendre en compte les calendriers des autres grands championnats nord-américains. Une première date clé étant en avril lorsque la NFL sort son calendrier pour la saison à venir, ce qui amène la NBA à faire des modifications pour ne pas jouer ses matchs dans une même ville en même temps puisque ce ne serait pas bon pour l’affluence dans les salles. Et au-delà de l'affluence, il y a aussi un problème de logistique puisque certaines salles partagent le même parking que le stade de football américain. La NBA travaille aussi en collaboration avec la NHL, qui voit également chaque équipe disputer 82 matchs et sur la même période que la NBA, puisque beaucoup d’équipes partagent leur salle avec une équipe de hockey sur glace. Mais même avec ce travail de collaboration, la NBA se doit de revoir son calendrier lorsque le calendrier officiel de la NHL est révélé. Une autre date clé dans la création du calendrier est l’ouverture de la free agency début juillet, puisque les mouvements de certains joueurs majeurs peuvent amener de nouvelles histoires que les antennes nationales voudront mettre en avant, comme par exemple à l’époque où Kevin Durant est parti rejoindre Golden State. Et il faut également constamment revoir le calendrier lorsque de nouvelles dates de concerts ou autres shows sont annoncées.
Toutes ces étapes, Matt Winhick les faisaient seul sans outil informatique innovant pour l’aider. Un travail colossal qui devait passer à l’ère moderne pour améliorer le business et préserver la santé des joueurs.
- 2015-2016 : La saison des changements
La NBA a depuis quelques années cherché à améliorer son calendrier, de sorte à protéger la condition physique des joueurs et pour éviter de voir des matchs avec tous les joueurs majeurs sur le banc comme il est devenu de plus en plus coutume maintenant. Pour ce faire, la ligue a pris conscience qu’un seul homme ne pouvait plus assumer ce travail gigantesque. Après la création du calendrier de la saison 2014-15, Matt Winhick a donc légué son rôle à Tom Carelli et Evan Wasch et ces derniers ont créé une équipe de cinq personnes afin de répondre à toutes les contraintes intervenant dans la création du calendrier. Dans l’équipe, il y a notamment un responsable des opérations basket, un de la stratégie, un des médias, et le dernier est responsable du marketing et opérations business des franchises.
La saison 2015-16 a donc marqué un tournant dans l’organisation du calendrier NBA. Avec plus de personnes à sa charge et un véritable passage à l’ère informatique, les éléments sont enfin réunis pour obtenir un calendrier convenable pour chaque équipe. Mais que l’on soit bien clair, il est impossible avec la technologie actuelle d’obtenir le calendrier parfait, mais il s’agit de s’en rapprocher le plus possible chaque année.
Première nouveauté dans le processus : fini les 50 dates que chaque équipe doit donner. La NBA demande maintenant aux salles de fournir leur calendrier complet sur toute la durée de la saison avec toutes les informations importantes à savoir : quels shows sont programmés, lesquels sont en attente de validation, quels jours sont libres, etc. Autre chose à prendre en compte, si un concert de Beyonce par exemple se déroule dans une autre salle de la ville, la NBA va éviter d’y planifier un match ce soir-là afin d’éviter que le public choisisse d’aller voir Queen B plutôt que la balle orange.
Historiquement, il y a moins de matchs programmés les jeudis et dimanches soirs pour privilégier ceux en antenne nationale. Ceci posait une contrainte pour la programmation parce que ça réduisait le nombre de jours jouables par les équipes étant peu mis en avant par les antennes nationales. Un autre changement majeur a été de discuter avec les diffuseurs nationaux afin de s’entendre pour planifier plus de matchs ces deux jours-ci de la semaine sur la fin de saison. Le prétexte était de permettre aux diffuseurs de changer leur programmation si une matchup qui semblait intéressante en début de saison ne l’était plus après le All-Star break, et ceci a amené plus de flexibilité pour l’élaboration du calendrier du côté de la NBA.
- Comment ces changements ont permis d’améliorer le calendrier ?
Il a été décidé par la ligue de mettre l’accent sur la santé des joueurs. Il a fallu réduire les back-to-backs, les 4-in-5 et prendre en compte d’autres critères qui ne pouvaient pas être pris en compte dans l’ancien système. Les équipes jouant en moyenne 3,5 matchs par semaine, si l’une d’entre elles se repose deux jours à la suite d’un road trip dans une autre conférence, ça lui rajoute un back-to-back. Si elle demande 3 jours libres pour faire des entrainements en fin de saison (les équipes ont le droit de donner quelques dates auxquelles elles ne souhaitent pas jouer), ça lui rajoute un autre back-to-back. Et ainsi de suite. La marge de manœuvre est faible et c’est pour ça que la tâche est complexe.
C’est pour ça que l’apport de l’informatique a eu un rôle immense dans l’amélioration du calendrier NBA. Déjà parce qu’une fois les disponibilités des salles et le programme des matchs en antenne nationale connus, il ne faut que quelques minutes à un programme informatique pour pondre un calendrier quelconque, ce qui donne un gain de temps considérable. Ce gain de temps permet de prendre en compte des centaines de contraintes qui étaient mis de côté auparavant. Parmi elles, il y a par exemple le strength of schedule dont nous avons déjà parlé. Lors d’une conférence faite au MIT, Evan Wasch a partagé un screenshot des contraintes prises en compte par le programme informatique en question. A gauche vous pouvez y lire les contraintes et à droite le niveau d’importance (9999 = à proscrire, 10 = autorisé mais à minimiser).
Cette photo ne montre qu’une infime partie des contraintes utilisées, qui sont de l'ordre de 500, mais elle illustre déjà bien les opportunités qu’offrent la technologie à ce type de problème. Une fois que le programme a tourné en prenant en compte toutes les contraintes, il en ressort un calendrier. Il est quasi-impossible d’analyser un calendrier juste en regardant les matchs, mais pour les examiner la NBA utilise certaines données clé : le nombre de back-to-back, la distance parcourue en avion, le nombre de matchs le weekend… Ceci donne alors une base à la NBA pour analyser et ajuster le calendrier. Par exemple, est-il bon de réduire le nombre de back-to-back si cela implique l’augmentation des kilomètres voyagés par équipe ? C’est à ce genre de questions que le critère humain reste prédominant. La technologie fait les calculs mais c’est aux personnes de décider quel calendrier proposé est le meilleur.
Par exemple, sur le visuel ci-dessus, on peut avoir un road trip faisant partie du calendrier proposé informatiquement. Le nombre de points sur les avions représente le nombre de jours de repos entre les deux matchs du road trip. Sur l’exemple ci-dessus, c’est typiquement le type de road trip que la NBA n’accepterait pas et qu’elle essaierait d’ajuster. Une fois les ajustements faits, on relance le programme et regarde si le nouveau calendrier proposé est meilleur. Et ainsi de suite jusqu’à obtenir un calendrier satisfaisant. Dit comme ça cela parait simple, mais c’est un travail long et fastidieux mais qui a au moins eu le mérite de faire ses preuves, et ce dès la première année où il a été mis en place comme le montre le tableau ci-dessous.
Saison | Back-to-backs | Moyenne/équipe | Max | 4-in-5 | Moyenne/équipe | Max |
2014-15 | 578 | 19,3 | 22 | 69 | 2,3 | 4 |
2015-16 | 533 | 17,8 | 20 | 27 | 0,9 | 2 |
Différence | 45 | 1,5 | 2 | 42 | 1,4 | 2 |
Et au-delà de ce tableau, il y a plein d’autres facteurs qui peuvent paraitre anodins mais qui sont des atouts majeurs dans le business qu’est la NBA. Par exemple, les équipes jouant en antenne nationale sur ABC ne jouent plus le jour précédant et suivant le match, ce qui permet aux joueurs d’arriver frais et dispos et qui empêche les entraineurs de les mettre au repos.
Placer 1230 matchs en même pas 170 jours est un tâche ingrâte. Le nombre de contraintes à prendre en compte est immense, il n'y a aucun moyen d'éliminer complètement les back-to-backs, il n'y a aucun moyen d'obtenir le calendrier parfait et de ce fait tout le monde aura de quoi se plaindre à la sortie du calendrier. Mais il faut souligner le travail fourni par la NBA depuis quelques années pour proposer quelque chose qui tend à préserver de plus en plus la santé des joueurs tout en gardant une compétitivité économique que ce soit au niveau local, national et international.