Un prénom de garçon de café. Un nom de mafioso new-yorkais. Un surnom de rockstar. Andre Iguodala, alias Iggy : joueur aux multiples talents, le tout récent MVP des Finals est aussi un homme à la personnalité complexe et un type de joueur très particulier, pour ne pas dire unique.
Pour en raconter l'histoire et en dresser le portrait, il y a plusieurs façons de procéder. On pourrait choisir l'entrée « Palmarès ». On mentionnerait alors son titre tout juste obtenu avec les Warriors, mais aussi les médailles d'or aux championnats du monde FIBA en 2010 et aux Jeux Olympiques de Londres en 2012 avec Team USA, sa sélection pour le All Star Game (2012), ou encore celles dans les NBA All-Defensive Teams (Second en 2011, First en 2014). Une liste correctement fournie, mais qui pâlit de la comparaison avec celles qui figurent sur les pages Wikipedia des stars de la ligue. Alors il faut procéder autrement, pour rendre à Andre Iguodala l'hommage qui lui est dû. Habitant à San Francisco et connu pour son goût pour la hi-tech, voici son portrait en forme de visite de la Silicon Valley.
- Andre Iguodala, le Google player
Comme au célèbre moteur de recherche, on peut tout demander à Iggy quand il est sur le parquet. 1,98 m pour 98 kilos, il est particulièrement mobile, et la vue de ses épaules, larges comme des autoroutes californiennes, détromperait immédiatement celui qui pourrait le croire un peu léger. La preuve : ses performances défensives face à des ailiers beaucoup plus lourds que lui. Depuis son arrivée dans la ligue, en 2004, et jusqu'aux confrontations de ces dernières semaines, Iguodala a d'abord construit sa réputation de joueur sur sa capacité à défendre sur son adversaire.
Deux chiffres en disent long sur la manière dont il est capable d'influer sur le déroulement d'une partie dans ce domaine : 38,1 % et 44 %, soit les pourcentages de réussite aux tirs de LeBron James quand Iggy était sur le parquet et quand il n'y était pas pendant les finales. Quand on sait que le King prenait 35 shoots par match, on peut apprécier l'importance de l'effort et son impact sur le résultat.
Au-delà de cet apport, Iguodala est aussi un joueur dont l'apport offensif ne peut être négligé. D'abord connu pour ses alley-hoops avec Allen Iverson sous le maillot des Sixers, ainsi que pour ses tomahawk dunks, il squatte les Top 10 depuis plus de dix ans. Mais il ne faut pas seulement regarder ce qui brille : le produit de la fac d'Arizona est aussi un shooteur tout à fait honnête (33 % en carrière à trois points) et un ailier capable de voir le jeu et de distribuer la balle (5 passes par match chez les pros). Si l'on ajoute à cela sa présence au rebond, on comprend pourquoi Mike Krzyzewski, qui l'a coaché avec Team USA et qui a vu passer tout ce que les Etats-Unis comptent de grands joueurs ces trente dernières années, l'a comparé à Scottie Pippen, probablement le premier des grands point forwards.
Enfin, Iguodala est un modèle de professionnalisme. Leader d'une franchise pendant plusieurs saisons, il s'est intégré sans aucune difficulté dans une nouvelle équipe – Denver – lorsqu'il y a été envoyé dans un trade de mi-saison, en février 2012. Signé ensuite comme free agent par les Warriors, il y a accepté sans rechigner, cette saison, un rôle beaucoup plus obscur. Renonçant à ses minutes sur le parquet, à ses statistiques et à son statut de star, il s'est fondu dans le collectif pour pouvoir viser le titre : on ne peut que se réjouir de voir une décision aussi altruiste justement récompensée.
- Andre Iguodala, le Facebook friend
Il est difficile, très difficile de trouver quelqu'un acceptant de dire du mal d'Andre Iguodala, même sous couvert d'anonymat. Pourtant, en 11 ans de carrière pro, on pourrait facilement imaginer qu'Iggy s'est créé quelques inimitiés. Mais non, pas lui. Et c'est même tout le contraire. Drafté par Philadelphie, il y a été accueilli par Allen Iverson, avec qui il partage les mêmes initiales et un sens du spectacle sur le parquet. En dehors, en revanche, c'est tout le contraire. Là où The Answer détonnait par son style, amenant même David Stern et la NBA à prendre des mesures concernant la manière de s'habiller des joueurs, Iggy s'est toujours montré plus humble et discret, sans pour autant être terne ou effacé. Après le départ d'Iverson pour Denver, en 2009, Iguodala est devenu le patron du vestiaire des Sixers. A son tour, désormais, de prendre les jeunots sous son aile.
Lavoy Allen a ainsi récemment expliqué au magazine Slamonline qu'à son arrivée dans l'équipe (il a été drafté au second tour en 2011), Iguodala lui avait prêté pendant un temps un véhicule et qu'il s'était chargé de lui acheter trois costumes sur mesure. Tout cela afin que le rookie, ne bénéficiant pas du confort financier et de l'expérience de son aîné, évite de se faire plumer par des conseillers indélicats et n'ait à se consacrer qu'à son intégration dans l'équipe. Facile d'être généreux quand on est multimillionaire, me direz-vous. Étant donné le respect dont bénéficie Iguodala auprès de tous ceux qui l'ont fréquenté professionnellement, dans une ligue et une société où l'individualisme triomphe, il semble que le bon Iggy soit pourtant davantage l'exception que la règle.
De la même manière, lorsqu'il fut question l'été dernier d'un échange entre Klay Thompson et Kevin Love, Iguodala a eu le courage de ses opinions et n'a pas hésité à prendre publiquement position pour soutenir son coéquipier, allant jusqu'à affirmer qu'il n'y avait pas de meilleur second arrière dans la ligue. On a le droit de ne pas être d'accord avec lui, mais cela n'empêche pas d'apprécier le geste. En tout cas, il n'a pas échappé au reste du vestiaire de Golden State, au sein duquel Iggy est considéré comme un guide et un grand frère. Il n'y a qu'à voir la joie sincère de tous ses coéquipiers, Steph Curry compris, quand Iguodala a reçu le titre de MVP des Finals pour saisir l'ampleur de sa popularité dans son équipe.
- Comme Apple, Andre Iguodala a un coup d'avance
On pourrait remplir des annuaires avec les noms des joueurs NBA, anciens ou actuels, qui n'ont plus rien, ou presque, des millions de dollars amassés alors qu'ils jouaient. On peut être certain qu'Iguodala n'y figurera pas.
Agé de 31 ans, Iggy sait que l'essentiel de sa carrière est derrière lui mais qu'il lui reste une vie à vivre. Or, il apparaît clairement qu'il ne souhaite pas se contenter de profiter de ses rentes, à siroter des cocktails au bord d'une piscine dans une villa des Bermudes. Bien sûr, il pourrait faire fructifier sa bonne tête et sa capacité à bien s'exprimer comme consultant sur ESPN ou TNT. Il pourrait apporter sa science à des générations de joueurs en devenant coach. Peut-être, d'ailleurs, suivra-t-il l'une ou l'autre de ces voies. Mais pour l'instant, il semble avoir autre chose en tête. Présent sur Twitter, l'ailier des Warriors ne poste rien qui pourrait laisser penser à une vie sociale déjantée, riche de ses amis rencontrés avec la célébrité. En revanche, jetez un coup d’œil à ses abonnements et vous verrez quelques noms moins souvent associés aux sportifs de haut niveau : Business Insider, Fortune ou encore Harvard Business Review.
C'est que, comme la marque à la pomme, Andre anticipe. Pas de concurrence à battre, dans son cas, mais un ennemi mortel – et commun à tous : le temps. Alors, avant de raccrocher ses sneakers, Iguodala anticipe une reconversion dans les affaires, et plus particulièrement dans l'économie numérique. Profitant de la proximité de la Silicon Valley, il a déjà noué des contacts avec des cadres de Kraft, eBay ou Samsung. Golfeur amateur, il profite de sa participation à des tournois de charité pour faire d'autres rencontres, établir d'autres liens. Ça ne vous rappelle personne ? Et oui, Michael Jordan lui-même a toujours eu ce goût pour le business, ce qui lui a permis, au-delà de son illustre carrière, de devenir milliardaire et le sportif le plus riche du monde. Nul doute qu'Iggy, qui est né et a grandi à Springfield dans l'Illinois, à trois heures de route de Chicago, en a pris bonne note.
Ayant gagné des titres, ayant mérité le respect de tous, sur le parquet comme en dehors, Andre Iguodala continue d'avancer et de vouloir progresser. Voilà ce qui le rend unique : sans jamais se mettre en avant, ce type est une leçon de vie.