Du volume et de l'endurance. Une combinaison si difficile à jauger, encore plus en play-offs. La tension de l'enjeu, la fatigue accumulée lors de la saison régulière ternissent forcément les statistiques. Mais l'adrénaline peut faire accepter au corps humain ce qu'il refuserait habituellement. Comme une triple prolongation.
Le niveau de compétition entre Chicago et Boston en 2009 est incomparable pour un premier tour : Des prolongations à foison, des victoires qui se jouent à la dernière possession, des prises de bec entre Rajon Rondo et Kirk Hinrich, une ambiance incroyable de part et d'autre. Il ne manque finalement que KG, blessé depuis mars, et obligé de contempler le spectacle en costume depuis le banc. Quand arrive le sixième affrontement, Les Celtics sont favoris mais diminués, ils ont déjà du compter sur deux miracles pour se sauver. Ray Allen a déjà suffisamment marqué les esprits lors du deuxième match, remporté sur un buzzer beater signé « Jesus Shuttlesworth » et Paul Pierce a pris les devants pour remporter le match précédent.
Dans une série crescendo, la dramaturgie est à son paroxysme lors d'un sixième match décisif. En cas de victoire, Boston peut enfin se débarrasser de cet adversaire qui lui en fait baver. Mais Chicago veut tenir tête jusqu'au bout au champion en titre. Ray sait qu'il est la clé du succès.
- 29 points en une mi-temps
Alors il prend les choses en main, déclenche quatre tirs dans les trois premières minutes et marque les sept premiers points de son équipe. Puis le calme plat : les Bulls paradent, menant 36 à 27 après un quart-temps. Ray a-t-il trop donné trop tôt où est-il en plein tour de chauffe ? Il répond à peine dix secondes après la reprise à trois points. Quatre tirs longue distance au total agrémentés de deux shoots dans la raquette et quatre lancers-francs soit 29 points à la mi-temps, et Boston est revenu à deux unités de son adversaire.
On se dit alors que l'arrière a fait le gros du travail pour garder son équipe dans la course. Il s'avère d'ailleurs plutôt discret lors du troisième quart avec quatre petits points, laissant Rondo et Perkins faire le boulot. Mais au début de la dernière manche, Chicago a repris 11 points d'avance. Aidé par Kendrick Perkins et Glen Davis, il va renverser la machine. Longs trois points, dans la raquette, mi-distance, lancers-francs, RayRay ne semble rien pouvoir rater. 44 points au compteur, Boston mène de cinq points à une minute de la sirène, mais Brad Miller claque deux tirs pour mettre tout le monde à égalité.
- Savoir gérer son temps et son énergie
Il faut maintenant mesurer son effort. Ray Allen a déjà foulé le parquet pendant 43 minutes où on l'a vu courir partout. La prolongation est un moment stratégique où chaque possession compte et où le sang froid est de mise. Le numéro 20 peut laisser Paul Pierce diriger l'attaque, les pénétrations. Lui préfère roder autour de la défense adverse pour voir d'où il pourrait sniper. L'opportunité n'apparaît pas lors des cinq minutes bonus ? Alors, on sert un nouvel overtime au public.
Omniprésent pendant toute la rencontre, Allen retourne se cacher dans l'attente du tir miracle. Mais celui-ci ne vient pas. Il rate deux tentatives, perd un ballon précieux. Aurait-il déjà trop donné ? Patience. Son équipe est menée de trois points à 30 secondes du buzzer, mais il prend le temps de se placer, récupère le ballon, ralentit, puis d'un dribble se décale pour un corner three sur la tête de Joakim Noah. Deux points seulement sont comptés. Séquence identique avec 12 secondes affichées. Balle en main, il dépasse John Salmons (auteur de 35 points ce soir-là!), et sa détente est trop rapide pour Hinrich. Une neuvième piqûre pour une troisième prolongation inédite.
Allen a toujours donné cette impression de faciliter au moment de tirer, ce quick release qui chez les autres à l'air d'un tir bâclé qui va forcément rater sa cible, mais qui donne au plus gros shooter de trois points de l'Histoire de la ligue un avantage conséquent. Ce match en est une véritable exposition grand format.
- 50 by 50
Malheureusement, le ballet offensif se termine en fausse note. Une défaite d'un point à Chicago qui oblige les Celtics à tenir un septième match dans leur Garden. Ray pourra regretter avoir gagné deux points pour le prix de trois, en touchant la ligne dans la dernière minute de la deuxième prolongation mais les détails sont trop nombreux dans cette bataille pour dire ce qui a vraiment fait renverser le match en faveur des locaux.
L'injustice des perdants fait qu'on se rappellera surtout de ce match l'interception, la course et le lay-up and one de Noah qui ont donné l'ascendant final aux Bulls. Mais la légende de Ray Allen a laissé ce jour-là des traces un peu partout dans les records de la post-season.
Ces 51 points restent le meilleur total réalisé par un joueur actif dans la ligue. Personne n'a réussi plus que ses neuf tirs à trois points, personne n'en a tenté 18 comme lui. Surtout, il est un des trois hommes à scorer plus de 50 points tout en jouant plus de 50 minutes. Les deux autres s'appellent Michael Jordan en 1986, et sa version junior Kobe Bryant en 2006, autant dire deux maîtres du ballon, chacun étant la principale voire unique force offensive de son équipe, et surtout en pleine forme physique. Le Bull avait 23 ans, le Laker 27, Ray Allen les rejoint à 33 ans ! Il réalise ce soir-là un chef d'oeuvre parce qu'il a su maîtriser son talent, plus que le forcer, larguant les bombes pendant 48 minutes, avant de redevenir un tueur silencieux.
On parle d'ailleurs souvent des 63 points de Jordan face aux Celtics, qui restent à ce jour le plus gros score inscrit par un joueur en play-offs. Plus de vingt ans après, ce qu'a fait Allen aux Bulls en est sans doute le plus bel hommage.