Alors que le basket est de nos jours l’un des sports populaires offrant le plus de mixité, ceci n’a pas toujours été le cas. Pendant très longtemps, il s’agissait d’un sport où les ligues professionnelles étaient constituées exclusivement d’hommes blancs, comme dans l’ensemble des sports majeurs aux Etats-Unis d’ailleurs. Il faudra attendre de longues années avant que ces ligues, à commencer par la NBA, ne soient totalement ouvertes à une réelle mixité.
Parmi tous les membres du Hall of Fame, on sent bien que l’institution a souhaité mettre en avant les personnes ayant cassé des barrières sociales via le basket. Il y a par exemple la barrière du genre, avec de nombreuses pionnières féminines honorées, dont nous parlerons dans de prochains épisodes ; et il y a la barrière de la couleur, cassée grâce à une longue liste de personnalités afro-américaines. Parmi eux, l’institution de Springfield a honoré par exemple les New York Renaissance, Chuck Cooper, William Gates, etc. Et parmi tout ça il y a une autre équipe emblématique, qui a su résister aux années à tel point qu’elle est encore actuellement l’une des équipes les plus connues de la planète. Loin de faire dans la plaisanterie à ses débuts, elle était l’une des seules équipes qui pouvait prétendre être au niveau des Original Celtics dont nous avons parlé dans l'épisode précédent. Et aujourd’hui, nous partons à la découverte de son fondateur.
L'équipe de New York Renaissance
Abe Saperstein est né à Londres en 1902. Il n’a donc que 5 ans quand, en 1907, sa famille décide de quitter l’Angleterre pour s’installer aux Etats-Unis, à Chicago. Vivant dans un quartier composé majoritairement de juifs pauvres, l’enfance de Saperstein n’est pas des plus simples. Il se découvre malgré tout une passion pour le sport, et en pratique beaucoup dont le baseball, le basketball, l’athlétisme, etc. Malheureusement pour lui, la génétique ne lui a pas donné de bonnes prédispositions physiques avec notamment une petite taille (1,60m) ce qui l’empêchera d’espérer y faire une carrière professionnelle.
S’il ne peut pas jouer, Saperstein ne désespère pas non plus et compte bien faire du sport sa vie, même si ce ne sera pas forcément balle en main. Il commence par créer son équipe de basket, les Chicago Reds, où il joue meneur. Il deviendra ensuite l’agent de plusieurs équipes de basketball et de baseball avant de reconstruire en 1927 une nouvelle équipe de basket. Le noyau de l’équipe était composé de membres des Savoy Big Five, dont les membres se sont séparés, et il la nommera les New York Harlem Globetrotters. Mais cette équipe, originaire de Chicago, n’avait pourtant rien à voir avec New York. Alors pourquoi un tel nom ? Tout simplement parce que son équipe était composée exclusivement de joueurs noirs, et que les relier à Harlem (noyau de la culture afro-américaine au début du 20ème siècle) était un moyen de prévenir les spectateurs que son équipe était constituée de noirs, histoire de ne pas surprendre l'audience. Saperstein s’occupera de tout dans cette équipe, sauf de jouer. Et encore, si un joueur se blessait, il fallait bien qu’il joue puisqu’il n’y avait que cinq joueurs dans l’équipe à ses débuts.
Abe Saperstein et son équipe des New York Harlem Globetrotters
L’histoire de Saperstein est une histoire de détermination. Lors des premières années des Globetrotters, l’équipe devait multiplier les déplacements, la couleur de peau des joueurs de l’équipe n’aidant ni dans les finances ni dans la vie de tous les jours. Saperstein avait probablement arrêté de compter le nombre de fois où il a fait rentrer ses joueurs dans sa chambre d’hôtel par une porte dérobée juste parce que ces derniers n’avaient pas le droit d’y entrer à cause de la ségrégation. Il avait probablement arrêté de compter les heures passées au volant à conduire son équipe sur les routes américaines pour assurer le spectacle dans des patelins plus perdus les uns que les autres. En sept ans, ils ont joué plus de 1000 matchs à travers le pays sans pour autant faire de bénéfice avec tout ça mais peu importe, les Globetrotters commençaient petit à petit à se faire un nom dans le divertissement et la passion qu’ils avaient suffisait à les garder motivés soir après soir. La clé de leur modeste succès résidait dans leur capacité à faire le show et à divertir la salle sans pour autant manquer de talent, en témoigne cette victoire au World Basketball Tournament en 1940 pour succéder au New York Renaissance. Saperstein le clamait haut et fort : si l’on donnait une opportunité à son équipe, elle aurait le talent pour répondre présent, et c’est ce qu’il va se passer.
George Mikan prenant un rebond sur Nat "Sweetwater" Clifton (gauche) et Babe Pressley (droite)
La consécration pour les Globetrotters de Saperstein viendra sur le tard. En 1948, l’équipe affronte les Minneapolis Lakers de George Mikan. Alors que les Lakers sont au sommet de la NBL et du basket mondial, les Globetrotters s’imposeront 61-59 contre l’équipe tenante du titre NBL. Peut-être que les Lakers n’ont pas joué ce match à fond, mais peu importe. Les joueurs afro-américains, par le biais des Globetrotters, ont instantanément gagné en crédibilité malgré tous les préjugés racistes qui pouvaient exister à l’époque. Deux ans plus tard Chuck Cooper, qui a brièvement joué dans l’équipe de Saperstein, devenait le premier joueur noir à être drafté en NBA. La même année, les Globetrotters joueront au Madison Square Garden, ce qui sera la première rencontre de basketball à guichet fermé dans cette salle. Saperstein avait réussi son objectif, son équipe était devenue officiellement validée par le public américain, et bientôt mondial.
Mais l’ambition de Saperstein ne s’arrêtait pas là. Il avait notamment pour objectif de devenir propriétaire d’une équipe. Après avoir loupé le coche pour diverses raisons en NBA, il a décidé de créer sa propre ligue, l’ABL, histoire de se simplifier la vie. Et pour réussir à concurrencer les grandes ligues américaines, Saperstein inventa une règle plutôt fun : le tir à trois points. Quand l'ABL fermera, l’ABA reprendra le concept de la ligne à trois points, en faisant de ça sa principale force de communication. La suite, vous la connaissez.
Rapport des règles mises en avant par l'ABA à ses débuts
L’impact d’Abe Saperstein sur le basket, et plus généralement la société américaine, est sans limite. En étant le fondateur, entraineur, chauffeur, agent… bref le patron et le visionnaire de cette équipe, il a mis la lumière sur les joueurs afro-américains au bon moment. Car si pour beaucoup les New York Renaissance avaient un meilleur niveau, cette équipe était peut-être trop forte trop tôt, dans une période où les ligues professionnelles n’avaient ni la stabilité ni l’ouverture d’esprit pour accueillir une équipe de ce genre. Les Rens auront eu l’opportunité de jouer les Lakers deux mois après les Globetrotters, mais ils s’inclineront 75-71, tandis que les Globetrotters batteront de nouveau l'équipe de George Mikan lors d'une revanche un an plus tard.
C’est la capacité de Saperstein à se renouveler qui a ouvert la voie vers la Grande Ligue à de nombreux joueurs, qui a permis à son équipe de traverser les décennies jusqu’à aujourd’hui et qui l’a poussé à tracer un arc de cercle à quelques mètres autour du panier. Le revers de la médaille est que son équipe a énormément perdu en compétitivité puisque les meilleurs joueurs sont ensuite partis en NBA plutôt que chez les Globetrotters, mais l’identité de son équipe n’a pas changé avec les années et c’est pourquoi de nombreux joueurs continuent d’y aller pour divertir petits et grands. L’équipe des Harlem Globetrotters a été intronisée au Hall of Fame en 2002, 31 ans après celui qui les a amenés de Chicago à la renommée internationale.