La saison a démarrée et New York a déjà commencé son parcours en dents de scie : une humiliation par Chicago à la maison, et une grosse surprise à Cleveland. Difficile d'avoir un avis sur le potentiel de cette équipe : un soir, le coach débutant Derek Fisher admet que les victoires ne vont pas être faciles à atteindre, le match suivant il se réjouit de voir plus de mouvement du ballon. En clair, les Knicks sont dans leur phase d'apprentissage de l'attaque en triangle mais on ne sait pas vraiment combien de temps il va leur falloir pour intégrer le nouveau système. Pour réussir, Big Apple va devoir être patient. Mais pas que.
- C'est quoi au fait ?
Le triangle offense fait typiquement partie du clinquant jargon NBA, une stratégie d'attaque construite en triangle dont on sait surtout qu'elle a permis à Phil Jackson de remporter 11 titres.Mais concrètement, c'est un peu plus complexe. Le succès de cette tactique repose sur le mouvement des cinq joueurs et du ballon, créer des espaces pour favoriser les passes courtes, et bien sûr le talent individuel.
L'idée, c'est de débuter la séquence deux arrières loin du panier, derrière la ligne à trois points. Le meneur ou arrière qui a la balle commence par la passer, soit à un joueur placé dans la raquette soit .sur l'aile, et va lui-même se placer dans l'angle, derrière les 7.23 m. Ainsi, l'intérieur, l'ailier et l'arrière forment un triangle pendant que les deux autres joueurs sont placés dans le prolongement de l'autre coté de la raquette. Si la première passe est impossible, il va se placer dans l'angle opposé, pour créer un autre triangle.
Les possibilités sont maintenant énormes : l'intérieur au sommet du triangle peut travailler son défenseur près du panier, tenter un tir ou remettre la balle à l'extérieur pour un tir primé, ou une pénétration. Le placement en triangle crée facilement des décalages et met à mal les prises à deux défensives. De même les joueurs placés en marge du trio peuvent aisément jouer en un contre un, en quasi isolation. Bien sûr, les joueurs doivent tous être à même de passer, shooter et de placer des écrans.
Pour comprendre visuellement les séquences classiques du triple post offense, cette vidéo tutorielle d'ESPN nous présente les subtilités du système tel qu'il était employé par Jackson chez les Lakers.
- Pourquoi ça a marché avec les Bulls et Lakers
L'attaque en triangle n'est pas arrivée par hasard à Chicago à l'aube des années 90, elle avait un objectif bien précis : empêcher Detroit de miser sa stratégie défensive sur le seul Michael Jordan. MJ étant indispensable au succès des Bulls, il fallait un système qui lui permette de mener l'attaque mais aussi de redistribuer le ballon à ses coéquipiers en cas de besoin. Un jeu de passes courtes qui rendrait les prises à deux ou trois joueurs risqué voire suicidaire.
L'apprentissage est une question de patience et après trois échecs consécutifs contre les Pistons (dont une défaite au Game 7 des Finales de Conférence 1990 sous les ordres de Jackson), les joueurs de l'Illinois finissent par triompher de leur nemesis et peuvent tranquillement commencer leur dynastie.
Excepté en l'absence de Jordan dont le talent et l'attraction était la force du jeu en triangle, aucune franchise n'a pu remettre en cause ou dupliquer cette stratégie. Deux cas confirment l'intérêt et l'efficacité de cette attaque : le tir vainqueur de John Paxson en 1993, et celui de Steve Kerr en 1997. Chaque fois, une prise à deux libère un joueur proche qui décoche un tir non contesté.
La recette sera la même à L.A dès 1999, avec certes des ingrédients différents (moins de talent sur l'aile mais beaucoup plus à l'intérieur) mais un fonctionnement similaire. Shaq est trop puissant pour qu'on le laisse avec un seul défenseur, mais amener des renforts donne des espaces aux snipers que sont Glen Rice, Ron Harper, ou Robert Horry. Avec en plus un Jordan Junior nommé Kobe, pas étonnant que ces Lakers aient dominé le début de la décennie. Quelques années plus tard, ces mêmes Californiens reviendront à un jeu en triangle plus traditionnel, avec une option offensive majeure et un tas de joueurs versatiles (Gasol, Odom, et Fisher). Comme MJ avant, Kobe pourra compter sur Fisher et World Peace pour les tirs importants grâce au système créé par Tex Winter il y a plus de soixante ans.
- Plus compliqué pour les Knicks ?
Phil Jackson puis Derek Fisher sont venus à New York pour tenter une troisième version NBA du triple post offense. Le président tout comme le nouvel entraîneur savent donc ce qu'ils veulent et comment l'obtenir. Mais il faut souvent une saison pour bien connaître le nouveau système, et les membres de l'effectif ne sont pas tous garantis de rester au-delà de 2015.
Pour s'adapter, les Knicks ont un gros point fort, Carmelo Anthony, scoreur gros volume de profession. Ce qui leur manque, ce sont des joueurs versatiles. Iman Shumpert, Quincy Acy, et le remplaçant Shane Larkin sont des pièces intéressantes en soutien mais sont encore en rodage.
Cet effectif comporte trop de vétérans dans un état physique passable, pas vraiment mobiles, notamment dans la raquette. Stoudemire prouve qu'il a encore du jus mais n'a jamais été un distributeur, et passe beaucoup de temps sous le cercle. New York a aussi des shooters, dont un J.R Smith sixième homme qui n'a pas l'air trop chaud pour intégrer le jeu en triangle, lui qui crée son attaque comme il le désire, et bloque aussi le temps de jeu du prometteur Tim Hardaway Jr.
Grosse amélioration en cours : le jeu de passes. Les Knicks étaient 28ème de la ligue en passes décisives l'an dernier, et sont quatrièmes actuellement (après une semaine seulement, mais tout en inscrivant huit points de moins par rencontre). Car Derek Fisher a rapidement compris que la défense devait devenir une priorité avec cet effectif, où on ne peut pas dire que l'attaque soit vraiment équilibrée.
En clair, les Knicks n'ont pas assez de bonnes cartes pour jouer gros, il leur faudra un calibre All-Star, tout comme les Bulls et Lakers étaient déjà bien complets à l'arrivée de Jackson et son schéma tactique révolutionnaire. Par ailleurs, les locataires du MSG prennent un risque en misant sur un système où les meneurs ont un rôle secondaire, dans une période où le championnat déborde de point guards.
Le rôle de Melo est indispensable mais toute l'équipe est concernée pour que la transition se passe en douceur. Forcément, il y aura des gros couacs comme contre Chicago, mais si les Knicks continuent à faire tourner le ballon, ils risquent de surprendre certaines grosses écuries.