Les déclics de LeBron

Les déclics de LeBron

À Detroit en 2007, comme à Boston en 2012, LeBron James a fait des Finales de Conférence une étape importante de sa carrière.

La carrière d'un sportif majeur ressemble souvent à un roman. Les médias ont beau avoir tendance à vouloir trouver du symbolisme partout, les moments vécus par ces hommes et femmes suivent une logique narrative ancestrale : l'ascension, le succès, l'apogée, la déchéance, le chant du cygne... tout joueur peut vivre ces étapes à son niveau, mais quelques uns les suivent scrupuleusement.

 

Par ailleurs, l'importance d'un joueur dans l'histoire de la ligue est autant soulignée par son palmarès que par ses performances. Et pour faire partie du Panthéon de la NBA, il faut des matchs signature qui résume tout ou partie du personnage.

 

Au cours de sa jeune carrière, LeBron James a réussi la prouesse de conjuguer les deux : faire de ses matchs majeurs le début d'une nouvelle ère. Passer d'un statut à l'autre en faisant taire d'un coup les plus sceptiques, dans un championnat qui vit toujours dans l'attente d'un nouveau super champion comme Jordan, et qui comble ce manque depuis 15 ans à travers Kobe Bryant.

 

James a (trop?) longtemps laissé planer le doute sur ses capacités à au point de surprendre et de marquer le public quand il prouvait qu'il pouvait gagner. Deux matchs charnières façonnent la légende du roi, deux batailles qui se sont déroulées en terre ennemie avec chaque fois la route des Finales en ligne de mire. Comme un clin d'oeil, MJ a épaté Boston en 1986 pour devenir superstar, il a traversé Detroit en 1991 pour être champion. LeBron va prendre le chemin inverse.

  • De star à superstar

The Chosen One a débarqué en NBA dans une équipe sans ambition ni construction et une compétition plutôt terne (sur les cinq saisons précédant sa draft, seuls les Pacers et les Sixers ont joué tous les play-offs). Si la construction des Cavaliers n'a jamais totalement eu lieu, le talent de James et le manque de concurrence ont permis à l'équipe de l'Ohio de gravir rapidement les échelons. À seulement 22 ans, LeBron mène ses coéquipiers jusqu'aux portes de l'affrontement final, mais pour entrer, il faut battre une escouade en bleue et rouge installée au Palace d'Auburn Hills.

 

Detroit est au milieu des années 2000 ce qui se fait de mieux à l'Est, sans doute l'équipe la plus aboutie qu'on ait vue dans la Conférence depuis les Bulls. En 2007, les Pistons restent sur quatre Finales de Conférence, deux Finales et un titre. Sans Ben Wallace, et avec un Chris Webber d'occasion, l'équipe reste assez stable pour arriver numéro un à l'issue de la saison régulière. La franchise du Michigan a également battu Cleveland l'an passé en demi-finales.

 

Les Cavaliers numéro deux retrouvent logiquement leur plus gros adversaire au troisième tour. LeBron & Co contre Detroit Basketball, saison cinq. Un jeune loup affamé et quelques toutous face à un système défensif expérimenté, autant dire que Cleveland joue vraiment le rôle de l'underdog. La jeune star est certes spectaculaire, a su montrer qu'elle pouvait prendre ses responsabilités en play-offs, mais de là à renverser les Pistons, personne n'ose y croire. Ils ont écrasé Orlando, puis géré leur effort face à Chicago. James ne peut lui vraiment compter que sur Ilgauskas à l'intérieur, et espérer que Larry Hughes soit dans un bon jour.

 

Sans être flamboyant, Detroit maîtrise bien la fin de ses deux matchs à domicile, remportés chaque fois 79-76. Les deux équipes peinent à scorer, notamment LeBron James avec dix puis 19 points. De retour à Cleveland, il trouve enfin son rythme et les Cavs comprennent que la forteresse adversaire n'est pas si inviolable que ça. Logiquement, ils égalisent la série à deux manches partout. Rien de bien incroyable jusque là, et le game 5 va se jouer chez la bande à Billups.

 

Forcément tendu, cet affrontement se joue au coude-à-coude. Chaque fois que les locaux pensent prendre le large, les visiteurs reviennent. Et ne sont menés que 52-51 à la mi-temps avec seulement 13 points de leur leader. Les Cavs pensent prendre l'ascendant en début de quatrième quart-temps, mais n'arrivent plus à rentrer leurs tirs pendant plus de trois minutes. Les Pistons enchaînent dix points de suite et sont en train de jouer la même partition que lors des deux premiers affrontements. Problème, ils n'arrivent pas à assurer les rebonds défensifs et perdent trop de ballons, de quoi offrir de nouvelles opportunités à leurs adversaires.

 

Cleveland peut revenir à condition que LeBron prenne enfin les devants, après une performance plutôt discrète jusque là. Il marque à bout portant puis à trois points, puis une pénétration à 31 secondes du buzzer pour un avantage d'un point. Billups rétorque longue distance ? James s'offre un énième boulevard jusqu'à l'arceau, pour arracher une prolongation. Il vient de scorer sept unités de suite, mais ignore qu'il va inscrire les 25 derniers points de son équipe.

 

Detroit n'arrive plus à rien balle en main, et laisse des espaces incompréhensibles dans sa défense. En face, le gamin est parti pour une transe. Il est sur tout les ballons, est le seul à tirer pendant cinq minutes, et enregistre neuf points tout seul. Une fois n'est pas coutume, le one-man show de la jeunesse déjoue les vieux routards qui n'ont plus qu'une arme : provoquer des fautes, marquer des lancers-francs. Ils rattrapent quatre points de cette manière en trente secondes. Motor City ne s'endormira pas avant d'avoir eu un autre overtime.

 

Mais James n'est toujours pas calmé. Pris par deux, voire trois défenseurs acharnés, décoche des tirs très contestés, en déséquilibre et les rentre. Si la technique n'est pas encore totalement au point, son athlétisme lui donne une facilité incomparable à créer une action en partant de rien. Ce soir là, LeBron James montre qu'au delà d'être impressionnant physiquement, il peut surtout être ultra efficace et de n'importe où. À six mètres, à trois points, il rentre littéralement tout ce qu'il tente. À 107 partout, les Pistons a usé toutes ses cartouches alors que les Cavs ont une balle infinie. Avec un temps-mort à onze secondes du terme, on sait forcément qui va avoir le ballon. Une dernière pénétration aggressive pour un lay-up. Ball Game.

 

Personne ne peut gagner tout seul, mais un gamin de 22 ans vient juste de le faire, en Finales de Conférence, à Detroit. Bien sûr, ça ne dure qu'un temps, et LeBron va le comprendre de façon lapidaire face aux Spurs, mais il vient de prouver que rien ne lui était impossible sur un terrain de basket.

  • De superstar à champion

Un roi sans couronne. King James traîne cette image à force d'accumuler les trophées individuels mais de rater le Larry O'Brien. Meilleur joueur de la planète ? Kobe peut encore prétendre à cette distinction vu qu'il gagne à la fin, alors que LeBron a perdu trois années de suite en tant que favori. L'homme qui peut tout faire rate les évidences et ça énerve, le lourd tribut de ceux qui veulent être parmi les plus grands. Pas un assassin, pas clutch, pas capable de mener une équipe mais prêt à aller jouer le titre ailleurs.

 

2011-12 est sans doute la saison la plus difficile pour James qui semble avoir plus de détracteurs que d'admirateurs, et une pléthore de joueurs prêts à le battre, notamment un groupe du côté du Massachusetts baptisés Celtics. Pierce et Garnett ont pris plaisir à le malmener en 2008 et 2010, et bien qu'ils aient perdu face au néo-Heat en 2011, ils pensent toujours avoir un ascendant psychologique sur lui.

 

Alors quand Boston retrouve Miami pour le dernier round à l'Est, le talent du numéro 6 n'est pas une garantie suffisante de succès. Les Floridiens mènent la série deux à zéro, mais voient les C's rattraper leur retard à domicile. Le cinquième match tourne au cauchemar pour le Heat : LeBron ne score que deux points lors des huit dernières minutes, et les hommes de Doc Rivers en profitent pour s'offrir une victoire à l'extérieur, à un succès d'éliminer le MVP de la saison.

 

 

Le TD Garden accueille ce 7 juin ce qui devrait être une énième leçon pour James : il ne peut gagner s'il n'a pas le mental pour prendre ses responsabilités dans le money time. Alors celui-ci va faire exactement l'inverse : il va écraser ses adversaires dès le début. Après tout, il a su faire évoluer son jeu, en prenant appui sur son physique hors norme, une sorte de Karl Malone distributeur de ballons avec un arsenal offensif tout-terrain.

 

Porté par cette foule hostile, il joue avec agressivité des deux côtés du parquet et signe 14 points dans le premier quart-temps (26-16 pour les visiteurs). Il sait qu'une défaite aujourd'hui marquera sa carrière alors il prend le match à son compte, et enchaîne les tirs, en tête de raquette, sous l'arceau, à six mètres et rentre tout. 12 tirs de suite, 30 points en une mi-temps, et un public de plus en plus silencieux.

 

LeBron est partout, y compris en défense, où il avale les rebonds. 11 points et cinq rebonds dans le troisième quart et l'écart qui reste à 13 unités. D-Wade peut jouer les seconds rôles et tuer le match, James va prendre du recul pour la dernière période en bon maître échiquier, le temps que ses troupes prennent 25 points d'avance. Il reste sept minutes et la bataille est pliée. Pas besoin d'être clutch, il faut juste être monstreux le reste du temps : 45 points, 15 rebonds, cinq passes, une performance sans équivalent dans la longue histoire des play-offs.

 

Les règles viennent de changer : il y a officiellement un capitaine à bord du vaisseau Heat, et plus seulement un duo de génies qui s'amuse. LeBron n'a pas foncièrement changé, mais il vient sans doute d'avoir un coup d'orgueil vital.

 

En dominant cette rencontre, il assomme les Celtics qui vont logiquement perdre le septième match. LBJ peut voler vers son premier titre face au Thunder encore trop jeune, il vient de mettre un coup critique à son nemesis,en lui rappelant qu'il est tout simplement plus fort et plus jeune. Une ère s'achève à Boston, et James n'a plus d'adversaire pour lui faire peur. Il est le roi légitime.