Reggie Miller, le gladiateur d'Indiana
À l'occasion du 50ème anniversaire de Reggie Miller, revivez la mythique carrière du sniper des Pacers qui a criblé de balles la NBA.
"Cheeeeryl, Cheeeeryl !" Voilà ce qu'entonne en choeur la plèbe new yorkaise, le 1er juin 1994. Une invective pour rappeler au bon souvenir de Reggie Miller qu'il n'est que le petit frère de la meilleure joueuse de basket des États-Unis, Cheryl Miller. À l'orée du quatrième quart-temps, les Knicks mènent 70-58 lors de ce match 5 des Finales de Conférence de playoffs 1994. La foule, sereine et fière de ses troupes, attend le coup de grâce pour exulter. Auteur de 13 points lors des trois premiers quart-temps à 1/6 à trois points, le gladiateur Reginaldus Wayne Miller chancelle, titube. Il plie, mais ne rompt pas. Assoifé de sang, son talent a besoin de ces émotions fortes, de cette adversité. Il ne se sent nulle part ailleurs aussi bien que dans le Colisée du Madison Square Garden, il puise sa motivation dans l’opposition frontale que lui offre le public new-yorkais. Toujours enclin à la surenchère, le réalisateur de film Spike Lee dans la peau de l'empereur, profite de sa place au premier rang pour lui glisser, quelques petits mots doux. Et là... moment divin, Reggie semble toucher par la grâce. Plutôt que d'être déstabilisé, les paroles de l'empereur semblent le remobiliser. Le ballon lui arrive entre les mains, il shoote... "Money in the bank". Il lui jette un regard foudroyant, le fixe le regard noir.
Un trois point, puis deux, puis trois. Le score se resserre au grand désarroi d'un peuple new yorkais estomaqué. La provocation de Spike semble avoir fait resurgir toute son enfance faite de moqueries et d'humiliations incessantes. Ce géant chétif doté d'oreilles disproportionnées, à qui les arènes NBA semblaient interdites, tient sa revanche. Lui, né avec des problèmes de hanches, lui à qui les médecins avaient promis de claudiquer toute sa vie, finit le match à 39 points, dont 25 dans le quatrième quart-temps à 5/5 derrière l'arc. Il a donné la victoire à son équipe (93-86) et une leçon d'humilité. Le héros de l'arène s'est trouvé un surnom : le Knick Killer.
- Le Spartacus de la NBA
Intrépide et audacieux, le gladiateur d'Indiana ne craint ni New York ni Michael Jordan. En effet, le charismatique Reginaldus, à la tête d'une révolte de Pacers affamés, engage un combat de sept ans (1993-2000) contre l'impérialisme new yorkais et jordanesque qui ne semble avoir aucune limite. À l'image du célèbre Spartacus, il lance la rébellion des franchises opprimées qui luttent pour exister face à cette oligarchie régnant sur la Conférence Est.
En dix-huit saisons passées sous les couleurs d'Indiana, Reggie Miller a marqué 25 279 points en 1389 matchs, ce qui en fait le 18ème meilleur scoreur de tous les temps. Il a participé à 15 campagnes de playoffs et a disputé six Finales de Conférence dont une Finale NBA en 2000 contre les Lakers de Los Angeles. Frêle, rachitique, Reginaldus Miller n'en demeure pas moins un rétiaire - guerrier - hors pair doté d'une panoplie de techniques spécifiques. Tout comme le trident de ce type de gladiateur, son trash talking, ses remarques acerbes piquent ses adversaires désabusés qui tombent dans son filet à l'image d'un John Starks qui se fait expulser le 4 mai 1993 lors du Premier tour des playoffs.
"Par fair-play, avant le match, je suis allé serrer la main de John Starks, cependant il n'a pas daigné me la serrer. Je n'avais aucun problème avec John avant cet incident, mais, à partir de ce moment, j'étais en mission : je vais ridiculiser ce petit ! 70% de mon trash talking est pour me motiver, 30% pour rentrer dans la tête de mon adversaire.
À coup de "Regarde ta ligne de stats, tu te fous de moi j'espère ! C'est honteux !", le héros de l'arène se bat avec courage et intelligence. Sadique, il ne donne pas une mort trop rapide. Il attire lentement et habillement ses proies et les achève froidement d'un coup de poignard trois points, sans vergogne.
Agacé par l'arrogance et l'impudence des New York Knicks, Reggie Miller éprouve une haine viscérale et revendiquée à leur égard.
"Les New Yorkais ont toujours pensé qu'ils étaient plus forts que les autres. Ils étaient convaincus qu'ils étaient un cadeau de Dieu donné au monde du basket. Cela m'horipillait et me touchait. Personne n'aime New York mis à part les New yorkais."
Instigateur de cette rivalité, Reggie Miller marche sur Manhattan d'un pas conquérant et marque à tout jamais le Colisée du basketball. Envoûté lors des playoffs, quelque chose de surnaturel anime le tueur qui habite en lui lors du money time. Doté d'un mental d'acier, il ne vit que pour des dernières secondes insoutenables, il n'aime que les atmosphères irrespirables et les situations improbables.
Il va encore le prouver au Colisée new yorkais le 7 mai 1995. Les meilleurs ennemis se retrouvent en Demi-Finales de Conférence et Reggie a encore décidé de faire des siennes lors du premier match de la série. Les Knicks mènent de six points à 18,7 secondes de la fin. Le match est plié, le GM des Pacers Donnie Walsh quitte même les tribunes pour ne pas assister à la sentence irrévocable de la plèbe de Manhattan. Quand soudain, dans un ultime effort, le gladiateur d'Indiana fait définitivement de New York son arène privilégiée, une scène à la hauteur de sa stature. Il inscrit la bagatelle de 8 points pour arracher ce combat devant une foule abasourdie et stupéfaite. Un come back historique jamais égalé. Le Knick killer a encore frappé !
D'ordinaire discrets en sortant de leur ludi - écoles des gladiateurs à l'époque romaine - les rookies se contentent habituellement de prendre leurs marques sans faire de bruit afin de s'aguérir aux joutes NBA lors des matchs de pré-saison. Mais c'est mal connaître le charismatique gladiateur du Midwest qui a bien l'intention, dès son arrivée dans les arènes, de s'attaquer au gladiateur invincible, l'idole des américains : Michael Jordan. Dès la sortie de son ludi de UCLA, Reggie fait déjà preuve de caractère et aiguise ses remarques acerbes de manière imprudente face au Dieu des parquets. Lors de la fameuse émission de Jimmy Kimmel, il nous relate cette expérience croustillante :
"J'ai commencé à parler dès mon arrivée au sein de la Ligue, mais j'ai eu une mauvaise expérience. Lors de mon année rookie, nous avons joué les Chicago Bulls et c'était la troisième ou quatrième année de Michael Jordan. C'était un match exhibition dans une petite salle et la plupart des vétérans n'aiment pas jouer les matchs de pré-saison parce qu'ils veulent des vrais matchs. Moi j'étais un rookie plein d'énergie alors que pour Michael Jordan c'était une promenade de santé. Chuck Person, mon coéquipier, un trash talker lui aussi, m'a dit : "Tu y crois que c'est Michael Jordan, le gars dont tout le monde parle et qui est supposé marcher sur l'eau. Tu es en train de le tuer Reg'". C'était la première mi-temps et il a surenchéri : "Tu devrais lui parler. "Du coup, je me suis dit : "Tu sais quoi ? Tu as raison. Michael, qui crois-tu être ? Le grand Michael Jordan ? Ok, mais maintenant il y a un nouveau gamin en ville". Il m'a regardé et a hoché la tête. À la mi-temps, je comptais 10 points et il en était seulement à 4. En le chambrant, il acquiesçait. À la fin du match, il a fini avec 44 points et moi 12. Il m'a mis un 40-2 ! Il est ensuite reparti en disant :"Fais attention à ne plus jamais parler au Jésus noir de cette façon, ok ?"
Si certains y voient une leçon donnée à ce jeune inconscient, on peut remarquer aussi l'apostasie d'un gladiateur fougueux qui a décidé de renoncer publiquement de se soumettre à l'autorité de son altesse et à la doctrine made in Chigaco. Il le prouve encore une fois quelques années plus tard lorsqu'il décide véritablement d'en découdre avec Michaelus Jordan.
- Gloria victis : gloire aux vaincus
Le gladiateur Reginaldus Miller va conquérir le coeur du peuple NBA par son génie et ses talents de combattant dans l'arène, mais ses ultimes affrontements ne vont se solder que par des défaites. Paradoxalement pas de mise à mort, pas de condamnation sur la place publique, peu de haters pour ce perdant héroïque. Nous avons tendance à trouver des qualités aux équipes et aux gladiateurs joueurs les plus désavantagés. Cela pourrait être lié à une soif primitive de justice, cette ancienne émotion que nous inspire l'histoire de David Reggie et Goliath Jordan. Nous voulons simplement que Reginaldus puisse tenter son coup et bien évidemment le réussir. Dans une société inégalitaire, la victoire d'un outsider est précieuse, car elle permet de croire qu'il est toujours possible de surmonter les malheurs de la vie. Le talent inné est injuste, c'est une simple question de chance. Ce désir d'égalité ou cette aversion pour l'inégalité pourrait expliquer cette étrange affection pour les perdants. Et comment ne pas en avoir pour le gladiateur du Midwest, le plus besogneux, le plus hardi, le plus clutch, le plus loyal de tous les gladiateurs.
Malgré des défaites cruelles, tragiques et amères, le gladiateur Reggie Miller a marqué de son sceau le panthéon de la NBA en les rendant somptueuses, splendides et majestueuses. Après avoir marché victorieusement sur New York en Demi Finales de Conférence en 1998 (4-1), Reginaldus va faire trembler l'empire de l'Illinois qui sent le souffle du Midwest jusqu'au United Center. En effet, Reggie et ses troupes vont pousser les Bulls de Chicago dans leurs derniers retranchements au cours d'un combat mémorable remporté 4-3 par Chicago. Néanmoins, Reginaldus fait preuve de vaillance et regarde droit dans les yeux un Jordanus au sommet de son art. Le match 4 à Indiana témoigne de la grandeur et participe au mythe de Monsieur Miller.
Remise en jeu, 2,9 secondes à jouer, Dieu Michaelus contre Reggie. Loin d'être impressionné, notre sniper préféré assomme le roi d'un trois point dont il a le secret. Devant une foule hystérique, il vole la vedette de sa Majesté le temps d'un combat. D'une balle dans la tête...
"Les gagnants trouvent des moyens, les perdants des excuses". Monsieur Franklin Delano Roosevelt, loin de trouver des excuses, Reginaldus Wayne Miller a inspiré des générations, ouvert une nouvelle ère et s'est permis de terroriser une Cité toute entière. Face à un tel génie, un seul mot me vient à l'esprit : Merci Reggie !