Les pépites du Hall of Fame : Luther Gulick

Nouvelle série sur Inside Basket, où nous partons à la découverte de personnes intronisées au Hall of Fame. Mais pas n’importe qui, nous vous ferons le portrait de personnes soit peu connues de nos jours, soit ayant des histoires atypiques qui méritent une mise en lumière. Joueurs, équipes, entraîneurs… Tous ont eu un impact sur l’évolution du basketball et n’ont pas volé leur place au Hall of Fame. Vous l’aurez compris, le but est de ratisser large pour découvrir les pépites qui valent le détour.

Pour commencer, voici le portrait d’un personnage qui sera bien représentatif de notre série. Vous le savez sûrement, le basketball a été inventé en 1891 par un canadien, James Naismith. Mais saviez-vous que sans l’intervention d’une deuxième personne, ce magnifique sport que l’on aime tant n’aurait peut-être jamais vu le jour ? Cette deuxième personne, vous l’aurez compris, s’appelle Luther Gulick. D’un impact crucial pour le basketball, intronisé au Hall of Fame dès sa création en 1959, le Docteur Luther Gulick est pourtant très peu cité dans les livres d’Histoire.

 

Né le 4 décembre 1965, Gulick fait des études à Oberlin (Ohio) et Boston avant d’obtenir un diplôme de médecine en 1989 à la New York University. Il arrive ensuite à Springfield, dans le Massachussetts, au YMCA Training School. Il est alors le premier superintendant de la section sportive de l’école et designera un logo en triangle qui deviendra la base du logo YMCA (Spirit, Mind and Body). Il écrira en 1894 une définition de ce que représente ce triangle.

 

Le triangle ne correspond, non pas au corps ou à l’esprit ou à l’intelligence, mais à l’homme dans sa globalité. Il n’a pas pour but d’exprimer ces parties distinctes, mais pour indiquer que l’être, alors qu’il a différents aspects, est unique.

 

Assez impactant dans la culture américaine, ce logo n’est pas si anodin car on peut y voir un parallèle entre la définition donnée par Gulick et la mentalité dans laquelle a été créée et développée le basketball. Mais aussi, si nous en avons parlé brièvement c’est parce que ce logo, The Triangle, deviendra le nom d’un magazine de l’université qui s’avèrera être une petite mine d’informations précieuses pour la suite de notre récit.

 

Penchons-nous sur ce qu’il se passe lors des premières années de Gulick à Springfield. A l’issue de la première saison de football, il voulait trouver un moyen de garder les athlètes en forme pendant l’intersaison malgré l’incapacité de pouvoir pratiquer un sport en extérieur, tout en minimisant les contacts pour diminuer les risques de blessure. Il laissa alors ses associés donner des suggestions, et c’est ce qui poussera James Naismith, un jeune instructeur de cette école, à créer le basketball. Gulick se place donc là, schématiquement, pas comme celui qui a eu l’idée mais comme celui qui a poussé l’inventeur à avoir l’idée.

 

James Naismith

James Naismith, inventeur du basketball

 

Certes, c’est bien beau d’inventer un sport, mais c’est encore mieux de lui attribuer des règles, d’en expérimenter de nouvelles pour l'améliorer, et de faire en sorte que ce sport se développe pour ne pas rester qu’un jeu pratiqué dans un gymnase du Massachussetts. C’est là où Luther Gulick a un véritable impact sur le développement du basket. Il est le président et James Naismith le chef d’édition de The Triangle Publishing Company, qui publie chaque mois un exemplaire du magazine The Triangle (dont nous avons parlé juste avant) pendant 10 mois par an. C’est dans l’édition de janvier 1892 de ce magazine, quelques semaines après l’invention du basketball, que Naismith écrira pour la première fois sur ce sport qu’il vient d’inventer avec les fameuses 13 règles originelles du jeu, mais également quelques points supplémentaires qui retranscrivent bien le caractère très expérimental de ce qu’était ce sport à ce moment-là.

 

Le nombre de joueurs composant une équipe dépend largement de la surface au sol, cela peut aller de 3 jusqu’à 40. Moins il y a de joueurs jusqu’à une limite de trois, plus ce jeu est stratégique, mais plus il y a de joueurs plus il devient fun, et demande des décisions rapides.

 

Naismith parle notamment d’une composition d’équipe mélangeant des noms de postes qu’on utilise aujourd’hui au football et au basketball avec un gardien de but, deux défenseurs, trois milieux, deux ailiers et un avant-centre. Pour les plus curieux, nous vous laissons lire l’article de Naismith au complet

 

Illustration utilisée dans le magazine The Triangle, janvier 1892

 

Pendant les mois qui suivront, toujours sous la supervision de Gulick, James Naismith continuera d’expérimenter des règles pour son nouveau sport et deux ans plus tard, en 1894, lui et Gulick écriront le livre Basket Ball. Dans ce livre d’une trentaine de pages, Gulick et Naismith expliqueront pourquoi ils ont créé ce sport, quelques stratégies qui se sont avérées efficaces, et une mise à jour des règles qui passeront au nombre de 21. Nouvelle collaboration entre les deux protagonistes, nouvelle plateforme pour diffuser nationalement et internationalement ce nouveau sport qui a déjà fait son chemin jusqu’à Paris ou Melbourne. On y voit là déjà un projet plus abouti avec notamment un nombre de joueurs idéal (5), une liste des aspects physiques et stratégiques du jeu qui n’étaient que des brèves observations il y a deux ans.

 

Schéma d’une formation classique donnée dans le livre Basket Ball, 1894

 

Suite à ça, Naismith quittera le personnel du programme YMCA pour partir dans le Colorado, laissant à Gulick l’entièreté des responsabilités pour développer un sport encore à peine naissant mais déjà en plein boum dans les lycées, les écoles, les institutions militaires… Bref, partout. En 1895, il décidera alors de créer la Basketball Rules Organization, première organisation officielle chargée d’harmoniser les règles de cette nouvelle discipline, dont il se nommera président. Sa principale préoccupation sera alors de garder l’essence du basketball : Un sport qui requiert des aptitudes physiques complètes, de bonnes stratégies tout en minimisant les risques de blessure. A la suite d’un match entre deux équipes YMCA en 1897, il écrira des mots forts dans Association Men après avoir vu un arbitre visiblement biaisé pour l’équipe jouant à domicile, laissant passer de méchants coups lors de cette rencontre.

 

Le jeu doit rester propre. C’est un parfait outrage pour une institution qui supporte le travail des chrétiens dans la communauté de tolérer un traitement si peu courtois de ses invités, et de donner des coups qui violent les principes élémentaires de la morale.

 

Comme vous pouvez le voir, et comme souvent à cette époque, la religion avait encore un rôle majeur dans la société et encore plus au sein des institutions YMCA d’où venait ce sport. Cela aura au moins eu l’avantage de garder Gulick dans une ligne de conduite propre pour développer son sport. Et si ces mots ont été mis à l’écrit seulement en 1897, Gulick avait déjà prévenu les institutions YMCA bien avant cela, ce qui mena au premier match de basket professionnel. En 1896, alors que Luther Gulick donnait aux YMCA un avertissement sur certaines dérives de fair-play lors de certains matchs, certaines institutions ont tout simplement paniqué et décidé d’arrêter toute pratique du basketball. Ce qui fut le cas de l’organisation de Trenton, dans le New Jersey, dont l’équipe de basketball était déjà très populaire parmi les locaux. Vu que les joueurs voulaient continuer à jouer, ils ont loué le Trenton Masonic Hall et ont demandé aux spectateurs une participation pour couvrir les coûts de la location. Le match, joué le 7 novembre 1986, eut tellement de succès que les joueurs ont obtenu 15 dollars chacun en plus des frais de location de la salle. Cet épisode verra par la suite la naissance de plusieurs équipes semi-professionnelles comme les Original Celtics (spoiler : nous en parlerons dans un prochain épisode), arpentant les routes américaines juste pour jouer sans véritable compétition officielle à leurs débuts.

 

L’équipe de Trenton 1896-97

 

La popularité du basketball continuant de grimper, les responsabilités gérées par la Basketball Rules Organization seront transférées à l’AAU (Athletic American Union), une sorte de fédération des sports amateurs, qui était déjà réputée pour sa stabilité malgré seulement quelques années d’existence puisqu’elle a été créé en 1888. Gulick sera le président de l'AAU de 1895 à 1905 et restera donc maitre des décisions concernant son sport. Passer sous l'AAU fut l'une des plus grosses décisions de Gulick, qui s’avèrera payante puisque l’AAU statuera notamment un nombre fixe de joueurs pour ce sport (5) et continuera à le structurer pour qu’il devienne celui qu’on connait aujourd’hui.

 

Souvent mis dans l'ombre de James Naismith dans l'histoire de l'invention du basket, Luther Gulick n'en a pas moins une part très importante dans sa création et sa popularisation lors de ses premières années, jusqu'au début du 20ème siècle. Durant presque 15 ans, il a supervisé le moindre changement de règle et toutes les autres décisions importantes qui ont permis de créer l'essence de ce sport. En plus de tout ça, il restera un bon physicien et il participera au Comité Olympique de 1908. Décédé en 1918, il sera intronisé au Hall of Fame en 1959.