Diminuer le nombre de matchs est-il la solution miracle ?

La NBA, sous l'impulsion de David Stern puis Adam Silver, n'a historiquement jamais été réticente au changement. Malgré tout, le nombre symbolique de 82 matchs reste une constante qui a longtemps résisté aux années.

Difficile de poser les bases d’un tel papier sereinement sans tomber dans le « c’était mieux avant » qui est un discours aussi facile que peu utile à la discussion, ni sans paraitre ni aigri, blasé ou rabat-joie. Puis Damien Burnier a récemment écrit un article dans Le Journal Du Dimanche qui a attiré l’attention. Il fallait bien ça pour mettre les choses dans leur contexte.

 

 

Le problème est complexe, mais le constat est bien là : la saison régulière a gagné en ennui. C’est un constat bien subjectif certes, mais loin d’être isolé et appuyé par les chiffres d’audience drastiquement en baisse. Si cette baisse (notamment -22% pour NBA on TNT par rapport à l’année dernière) peut être expliquée par plusieurs facteurs extérieurs, il n’empêche que son amplitude ne peut cacher le constat de base.

 

 

Sans faire de ceci une solution qui règlerait tous les problèmes du monde, la question des 82 matchs de saison régulière par équipe revient régulièrement sur la table chez les fans et experts. En cause, le load management qui est devenu un moyen utilisé à tout-va pour ne pas épuiser ses joueurs sans dévoiler ses cartes aux gros adversaires avant les playoffs. Les coachs ont tous les intérêts du monde à le faire et ne s’en privent pas. Adam Silver l’a bien compris et c’est pourquoi il a déjà posé les bases pour casser la barrière symbolique des 82 matchs par équipe en saison régulière. La première réforme qu’il a envisagé, avec un passage à 78 matchs, ne changerait pas grand-chose en terme de load management surtout s’il compte vraiment rajouter un tournoi dans l’équation. Mais ce serait une première étape pour briser la barrière en douceur, avant de peut-être envisager une solution plus drastique. La NBA va-t-elle prendre ce risque de diminuer sérieusement le nombre de matchs pour espérer regagner de la compétitivité en saison régulière ? Et surtout, est-ce que ceci porterait ses fruits ?

 

 

C’est vrai ça ! Après tout, au réveil on ne manque pas d’highlights, d’histoires sur et en dehors des parquets, de matchs serrés et de statistiques plus ou moins farfelues. Peu importe que l’on suive de près ou de loin le championnat nord-américain, il existe tellement de sujets différents couverts autour de cette ligue que chacun peut y retrouver son compte. Alors pourquoi ce constat d’ennui ? Ou du moins, où est passé le piquant des saisons passées ? Passons le fait que le trashtalking est de moins en moins présent, que les bastons se font rares ou les rivalités moins importantes puisque ceci est plutôt une question de génération qui va au-delà du basket, où tout devient de plus en plus aseptisé et les sommes d’argent mises en jeu grandissantes poussent les sportifs à aller dans ce sens à tous les niveaux. En prenant ça en compte, ce n’est pas spécialement ça qui devrait nous chafouiner comme dirait Jacques Monclar.

 

Pourquoi ? Dans un sens, il y a un petit côté « retour de bâton » autour de tout ça. Car si certains diront que les réseaux sociaux sont l’un des piliers du marketing NBA, il faut pourtant bien reconnaitre que la période de 6 mois entre octobre et avril parait de plus en plus fade sur le réseau de Larry (oui l’oiseau bleu de Twitter s’appelle Larry, ça ne vous rappelle personne ?) comparé à la free agency qu’on vient d’avoir et aux playoffs qui sont d’un niveau bien supérieur. Les raisons de ce manque de piquant sont multiples : défenses et intérieurs purs de moins en moins mis en avant au profit des extérieurs et attaquants, load management, coaching qui passe au second plan… Autant de points qui font pleurer les puristes. Pourtant tout n’est pas à jeter, loin de là. Les grands coachs et grands défenseurs seront toujours récompensés à l’issue de la saison quand le jeu ralentira, que les niveaux se resserreront, que les collectifs pourront passer plus de temps à s’entrainer et que les tacticiens devront se répondre coup pour coup comme un vrai combat d’échec. De plus, le jeu d’attaque axé sur le tir à trois points n’est qu’une forme différente du jeu qui est magnifique quand il est bien exécuté. Si maintenant des tirs sont pris bien plus rapidement, c’est parce que les joueurs sont devenus plus polyvalents et que les coachs n’ont plus de mal à autoriser leur joueur à prendre un tir ouvert. Et si les coachs ont changé leur mentalité dans ce sens, c’est parce que ça a fait ses preuves.

 

N’en déplaise aux amoureux du jeu des années 80, mais celui que l’on voit actuellement n’est pas moins beau quand il est joué avec application et implication, bien au contraire. Le problème est que plutôt que ces deux derniers facteurs sont rarement réunis lors de la regular season. Et le coupable idéal, c’est le nombre conséquent de matchs joués pendant la saison régulière. Mis en place à partir de la saison 1967-68, le nombre de 82 matchs n’a pas évolué depuis. Cher aux fans de NBA de la première heure, il faut commencer à faire le deuil de ce nombre car le couperet arrivera probablement un jour ou l’autre, mais également arrêter de dire qu’à l’époque les joueurs se donnaient à 200% pendant 82 matchs. Les temps ont changé, les sommes en jeu ont explosé, les joueurs sans bagues ont perdu en crédibilité dans l’esprit du grand public, et il y a fort à parier que si les joueurs des 70s avaient joué aujourd’hui ils auraient eux aussi pris quelques matchs de repos (forcés ou non), comme on a déjà constaté un relâchement dans le All-Star Game pour les mêmes raisons.

 

 

Néanmoins, millions de dollars ou pas, les fans ont de sérieuses raisons de grincer des dents. Car voir des joueurs NBA bénéficiant des meilleurs services médicaux du monde être mis au repos alors que, pour prendre l’exemple de la WNBA, beaucoup d’athlètes féminines enchainent deux championnats et compétition internationales sans jamais être mises au repos chaque année, ça a de quoi faire jaser dans les bureaux de la NBA. Avoir des fans qui ne peuvent pas voir leurs joueurs préférés, ou encore avoir des audiences en baisse car un affrontement au sommet se transforme en une rencontre de joueurs de bancs, ça fait mal au porte-monnaie et à l’image de la ligue. Et tout de suite, ça interpelle les dirigeants.

 

Pendant toutes ces années nous pensions que les championnats européens comme l’Euroleague devaient s’inspirer de la NBA. Pour la première fois, il faut commencer à réfléchir à l’envers et se demander qu’est-ce que la belle National Basketball Association fait de différement des autres car avec l’ouverture des scouts NBA à l’international, il est dommage de voir un si grand panel de talents évoluer pendant la majeure partie de l’année dans un championnat laissant de moins en moins la place à la compétitivité. C’est probablement la question que s’est posé Adam Silver, avec l’idée d’organiser un tournoi en milieu de saison. L’idée n’est pas forcément mauvaise, mais rien ne vaut le prestige d’un titre NBA et mettre comme carotte une pochette d’un million de dollars pour que les joueurs s’y investissent, ça ne prend pas trop de sens d’un point de vue aussi bien compétitif que financier. Cependant, compétition supplémentaire ou pas, cela n’impacterait pas la saison régulière qui est le problème initial. La NBA a déjà essayé d’alléger son calendrier en rallongeant la saison de deux semaines et en optimisant son élaboration avec plus de moyens technologiques. L’objectif était de réduire le nombre de back-to-backs, d'optimiser les déplacements, etc. Cet objectif a été atteint sur les dernières saisons mais cela n’a rien changé au plus gros problème: les coachs et dirigeants continuent de ménager leurs joueurs et le jeu perd toujours un peu plus de sa saveur pour un jeu moins dur physiquement. Cela a juste mis en lumière une chose : le problème vient autant du nombre de jours de repos que du nombre de matchs joués au total.

 

Pourtant, il est difficile de dire si oui ou non réduire le nombre de matchs sur une saison serait vraiment un pas en avant dans le jeu. Prenons comme exemple d’autres championnats, sans pour autant tomber dans un modèle comme la NFL qui ne compte que 16 matchs par équipe. Certes la ligue de football américaine est la plus prolifique de tous les sports majeurs aux Etats-Unis, mais c’est un exemple trompeur puisque la ligue s’est développée et popularisée avec un nombre de matchs très faible dès le départ, ce qui leur a permis de se conforter dans cette politique avec le temps. Donc non, prenons plutôt l’exemple des équipes de basket européennes qui sont réputées pour jouer des rencontres fortes en intensité et qui proposent déjà un modèle de match aller-retour, comme il est souvent proposé par des personnes favorables à une NBA à 58 matchs par équipe (un match à domicile et un à l’extérieur contre chaque équipe). Une équipe comme le Real Madrid, grosse cylindrée européenne, a joué pas moins de 69 matchs l’année dernière en ne comptant que le championnat et l’Euroleague et donc des matchs avec beaucoup d’adversité que ce soit en terme de niveau ou en terme d’envie de la part de l’adversaire pour battre le grand favori. Sur toutes ces rencontres, seul Facu Campazzo a joué plus de 60 matchs à plus de 20 minutes de moyenne. Même si on ne joue que 40 minutes en Europe, on est quand même bien loin des 3028 minutes de Bradley Beal qui les a joué sur une période de temps encore plus courte en terme de jours. Certes les joueurs NBA ont des qualités athlétiques surélevées, mais cela met en lumière quand même un point important : Pour jouer dur il faut savoir gérer ses troupes, et avoir moins de matchs à jouer sur une plus longue période n’empêche pas les joueurs de se blesser ou les coachs de mettre leurs stars sur la touche quand il semble nécessaire.

 

Alors réduire le nombre de matchs, ça ne sert à rien ? Pas si vite. Déjà, pour continuer et en finir avec le load management, prenons du recul. Très souvent, les joueurs ont le même nombre de minutes en championnat et en Euroleague et les matchs manqués sont souvent dus à de véritables blessures, autant dire que les coachs ne jettent pas les matchs par les fenêtres si facilement et pour cause : la compétition est rude, chaque match compte. En championnat, le Real ne s’en était sorti avec la première place que grâce à une série de 10 victoires sur les 10 derniers matchs. Et surtout plus bas dans le classement, pour l’accession en playoffs le suspens fût total. Les équipes classées entre les places 6 et 9 n’étaient séparées que d’une victoire, idem en Euroleague avec les équipes classées entre la 7ème et la 12ème place. Donc reposer ses joueurs est une chose à faire, oui, mais le prix à payer en est bien plus élevé pour les équipes et cela freine évidemment les dirigeants à le faire. Ensuite concernant le niveau d’intensité, c’est assez intimement lié. Entre équipes de même niveau, on vient de dire que chaque victoire comptait et de ce fait, un nombre réduit de matchs augmente la probabilité de se retrouver avec des égalités en fin de saison, ce qui accroit encore plus l’importance du bilan en face-à-face entre les équipes. Il n’en faut pas plus pour pousser les équipes à ne jamais lâcher le moindre point. En championnat, les équipes qui ne jouent pas les coupes d’Europe ont une semaine complète sans jouer avant de disputer un match et peuvent donc bien se permettre de jouer à fond toutes les possessions, ce qui pousse leurs adversaires à en faire de même. Dans ce cas-là, les équipes se tirent mutuellement vers le haut et c’est parce que certaines n’ont pas de match à jouer qu’on obtient cet équilibre. C’est une culture très européenne qu’il est quasi-impossible de reproduire en NBA puisqu’elle découle de plusieurs facteurs : les relégations (donc pas de tanking) et la multiplicité des compétitions entre autres.

 

Comme l’ont dit récemment des coachs de la trempe de Željko Obradović ou Rick Pitino, le basket européen se rapproche énormément du meilleur des baskets selon eux. Néanmoins, beaucoup de ces aspects sont dus à un système européen de championnats et de coupes très différent de ce qui se trouve aux Etats-Unis. Il faut s’enlever de la tête l’idée que le jeu européen que l’on connait puisse s’appliquer aux Etats-Unis, indépendamment des joueurs qui sont sur les parquets. Réduire le nombre de matchs permettrait d’apporter beaucoup de choses mais ne pourra jamais être la solution unique à cet ennui qui gagne le public en saison régulière.

 

 

La plupart des analystes sont d’accord sur un certain point : La première réforme envisagée par Adam Silver n’apporterait rien au problème que rencontre la NBA actuellement. Réduire d’aussi peu la saison régulière, et en plus y rajouter une compétition en parallèle ne changerait pas vraiment le visage de la NBA d’autant plus qu’il est difficile de savoir comment et avec quel intérêt se déroulerait la deuxième compétition. Souvent décrite comme une sorte de Leader’s Cup américaine, difficile de penser que l’emballement pour une telle seconde compétition serait total. En France la Leader’s Cup permet certes de voir de beaux matchs et les équipes en dehors du top 4 sont bien contentes d’avoir l’opportunité de prendre un trophée, mais la compétition est bien derrière le championnat ou la coupe de France en terme de prestige. Pourtant, sa voisine ibérique la Copa del Rey réalise toujours de très belles audiences malgré une flagrante domination du Real Madrid et du FC Barcelone sur ces dernières années. Comprenez, tout ceci est tout sauf une science exacte.

 

Si Silver a fait ce choix de seulement réduire à 78 matchs la saison, c’est probablement parce que la plupart des contrats actuels pour les droits TV de la NBA sont valables jusque 2025. Avec encore une demi-décennie à honorer pour ce contrat, il faut bien garder un grand nombre de matchs pour que les diffuseurs nationaux puissent en choisir 277 qui leur plaisent. Et dans un modèle où la télévision est la plus grande source de revenue de la ligue, il vaut mieux ne pas se tromper de ce côté-là. Mais une fois que ce contrat arrivera à expiration, que se passera-t-il ? On revient à 82 matchs ? Statu quo ? Ou on prend un gros risque dans les bureaux de la ligue pour baisser drastiquement le nombre de rencontres ? Economiquement parlant, que peut-on imaginer dans le cas d’une saison à 58 matchs comme nous en parlions dans la partie précédente ? Avec le contrat TV actuel, la NBA empoche avec ABC, ESPN et TNT une belle enveloppe de près de 9,5 millions de dollars par match en antenne nationale (NB : Ce calcul ne prend pas en compte les playoffs, qui sont un aspect non négligeables il est vrai dans les contrats des diffuseurs). Si on part de ce modèle, un passage à 58 matchs ferait perdre pas moins de 700 millions de dollars par an à la ligue ! Toujours en se basant sur le modèle actuel, on peut aussi parler des revenus générés par les ventes de billets qui diminueraient de presque 6 millions de dollars. Alors certes ceci n’est que très hypothétique et il y a fort à parier que dans l’éventualité d’une telle situation, dans une logique d’équilibre de l’offre et de la demande, les prix des billets augmenteraient et combleraient un peu ce manque à gagner. Mais toujours est-il que la NBA possède déjà un système qui marche et le changer dans les grandes largeurs serait un coup dur économiquement à moins que les diffuseurs acceptent de payer bien plus cher pour voir moins de matchs. Et comment les y pousser ? En attirant plus d’audience, et donc en proposant du meilleur jeu. C’est le serpent qui se mord la queue puisque ce n’est absolument pas la tendance qui semble se dégager avec le format actuel.

 

C’est là que le pari pris par Adam Silver pourrait prendre du sens dans une philosophie où stagner n’est pas une solution. Le public se lasse du jeu de la saison régulière ? Mettons plus d’enjeu aux rencontres. Le contrat TV nous empêche de diminuer le nombre de matchs ? Créons une autre compétition avec peu de matchs pour voir comment les joueurs et le public y répondent. Si ça bide, le visage de la saison régulière et de la course au titre n’en sera pas trop changé. En revanche si ça marche, il y aura de quoi s’appuyer sur quelque chose pour l’avenir avant de peut-être vraiment prendre un tournant dans la direction que prend la NBA.

 

On le voit, Adam Silver s’inspire énormément du modèle européen pour révolutionner la NBA. Après quelques prémices par ci par là et notamment une cérémonie des trophées à l’image du Ballon d’Or en football, les récents résultats d’audience à la télévision poussent le commissioner à accélérer son planning et à chercher vite des solutions pour contrer la baisse aperçue. Si économiquement et sportivement le pari semble risqué, il est en tous cas indéniable que chaque direction possible possède son lot de pour et de contre. Les acteurs du jeu que sont les joueurs voient le public quitter le spectacle, reste à savoir s’ils accepteront d’en changer le script.